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  • Notre Dame enflammée, notre âme abîmée ! par le Padre Ducourneau - mai 2019

    Notre Dame enflammée, notre âme abîmée !

    « Cette cathédrale, nous la rebâtirons » s’exclamait le Président Macron au lendemain du terrible incendie qui a ravagé une bonne partie de la cathédrale parisienne. L’émotion suscitée par ce désastre, nous l’avons vu, a dépassé nos propres frontières, allant jusqu’en Iran ou en Chine. Pour autant, les chrétiens d’Orient, victimes des guerres, comme en Irak ou en Syrie, nous rappelaient que chez eux, les destructions d’églises et de cathédrales étaient devenues dramatiquement banales. Chez nous, la concorde a habité durant quelques jours les politiques de tous bords, de toutes sensibilités et de toutes croyances, les uns se désolant de voir un édifice « historique » blessé de la sorte, les autres soudainement redevenus chrétiens ne manquaient pas de noter le caractère spirituel de la cathédrale, tandis que certains autres ne savaient que dire, comme si de tels événements n’étaient jamais arrivés.

    Or, l’histoire de France nous apprend que d’autres incendies se sont produits. Ainsi, la cathédrale de Strasbourg a souffert lors de la guerre avec la Prusse en 1870, ainsi que sous le feu des obus américains durant la Seconde Guerre mondiale. La cathédrale de Reims fut ravagée par les obus allemands en 1914. Celle de Chartres a connu un incendie en 1839 dans ses deux flèches. Certes, Notre Dame de Paris est davantage qu’une simple cathédrale, c’est l’écrin spirituel de l’âme de notre pays et la voir partir ainsi en fumée, au-delà de la vague émotionnelle qui a submergé nos concitoyens, ravive, pour ceux d’entre nous qui connaissent un peu son histoire, les souvenirs qui ont bâti ce que nous sommes aujourd’hui, n’en déplaise à certains. Rappelons simplement ici le passage du roi Louis XIII en 1638, dans ce qu’il appelait « notre paroisse » au cours duquel il a prié la Divine Providence en ces termes : « Nous avons cru être obligés… de nous consacrer à la grandeur de Dieu par son Fils rabaissé jusqu’à nous, et à ce fils par sa mère élevée jusqu’à lui ». L’imposante Pieta du chœur de la cathédrale, sculptée sous le règne de son fils, Louis XIV, et qui n’a pas été détruite par le fâcheux incendie, montre alors consécration de la France à la Vierge Marie voulue par ce roi. Cette cathédrale emblématique, dont le pape Alexandre III, en 1163, aurait posé la première pierre, vit aussi en 1804, en ses murs baignés de dévotion, le sacre de Napoléon 1er sous la bénédiction du pape Pie VII. Que dire encore du pape Pie XII qui, en 1937, rappela sous sa voûte « la vocation de la France » en précisant « qu’ ici c’est l’âme même de la France, l’âme de la fille aînée de l’Eglise qui parle à mon âme ». Soulignons encore le Te Deum qui célébra la fin des deux conflits mondiaux, auxquels participèrent les dirigeant d’alors (sauf Clémenceau en 1918). Plus récemment, ce sont les papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI qui y firent un pèlerinage. Ce dernier disait : « Les reliques de la Vraie Croix et de la Couronne d’épines, que je viens de vénérer, comme on le fait depuis saint Louis, y ont trouvé aujourd’hui un écrin digne d’elles, qui constitue l’offrande de l’esprit des hommes à l’Amour créateur. » On le voit bien, cette cathédrale, aujourd’hui blessée dans son sang de pierre, n’est pas qu’un simple monument inscrit à notre patrimoine.

    Il ne faudrait pas, pour autant, que ce dramatique incendie que le courage sans faille des pompiers de Paris a pu circonscrire sans que la cathédrale ne s’écroule (notons au passage le geste héroïque de leur Padre qui, considérant que le plus précieux des trésors était le Saint-Sacrement [1], a permis son sauvetage ainsi que celui de la Couronne d’épines), fasse passer aux oubliettes de notre mémoire, outre la destruction d’églises au Moyen Orient, la profanation d’autres lieux de culte catholique sur notre territoire national. Ces profanations, qui augmentent d’année en année, doivent, comme l’incendie de Notre Dame, nous émouvoir le cœur et l’âme au point d’être prêts à verser des larmes de désolation tout en dénonçant ses faits hautement scandaleux.

    Les derniers actes de profanation ont touché aussi bien des cimetières que des églises. Ce mois d’avril, à Ploërmel, par exemple, des croix gammées ont été découvertes sur des tombes catholiques du cimetière de la ville. A Montluçon, c’est l’église Saint-Pierre qui a été profanée, le tabernacle ayant été fracturé et le ciboire [2] volé. Toujours en avril, au cœur de la Semaine sainte, deux églises dans la Manche ont subi un sort identique, des objets liturgiques ont été renversés et les tabernacles ont été, là aussi, fracturés et vidés des Saintes Espèces. Ces faits s’ajoutent aux diverses profanations recensées depuis un an, dont les chiffres sont en nette hausse même si personne n’en parle. Ainsi, sur cette désolante liste, se greffent des églises profanées dans deux villages des Landes, mais aussi dans l’Ain où plus de vingt profanations ont été recensées en 10 mois, ou encore dans les Yvelines avec l’église de Saint-Cyr l’Ecole, mais aussi à Valence, à Dijon, à Compiègne, à Fontainebleau, ou plus près de nous, à Saint Gilles-Croix de Vie ou Confolens.

    En tant que prêtre je suis blessé en mon âme qui se trouve abîmée par le péché des hommes qui ne font plus la différence entre le sacré et le profane, ne respectant plus la liberté de conscience puisqu’ils s’érigent en juges de la foi de l’autre. Mais comme mon état de prêtre ne dit rien à certains de nos concitoyens, c’est en tant qu’être humain que je demeure meurtri, non pas dans mon âme (puisqu’elle n’est pas reconnue par ceux qui ont commis de tels actes indignes de notre humanité) mais dans mon esprit, dans ma réflexion, dans ma capacité à croire que nous pouvons tous vivre ensemble dans la concorde et la paix (intérieure et extérieure). Heureusement que l’Espérance en Christ qui surpasse toutes les divisions humaines dirige mes actes quotidiens.

    Ainsi donc, si effectivement, la cathédrale de Paris sera reconstruite, et c’est tant mieux, ce qui reste à reconstruire avant tout, et même à construire dans l’urgence, c’est bien l’âme humaine. Saint Thomas d’Aquin parlait de l’âme comme l’une des trois composantes de la personne (avec l’esprit et le corps). Puisse-t-il alors nous aider à donner davantage que l’apparence humaine à ceux dont l’âme ne semble pas efficiente, alors qu’elle n’attend peut-être qu’un déclic « spirituel » pour grandir en vérité, afin qu’elle ne soit plus dans la désolation mais accède à la consolation, mieux encore peut-être, à la réconciliation avec elle-même et avec les autres.

    Père Jean-Yves DUCOURNEAU, à votre service.