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  • Les voyages dans la Bible

    Au moment où je commence à rédiger ces quelques lignes, les journaux nous parlent d’un homme qui a fait le tour du monde en 13 ans rien qu’à la force de ses muscles. Au-delà de l’exploit physique, ce qu’il met en avant, c’est son voyage intérieur : partant à la rencontre de l’humanité dans sa diversité, au bout du compte, il s’est découvert lui-même à ses propres yeux. Cet exemple exceptionnel nous indique, pour ainsi dire, une direction : pour se connaître, le plus court chemin passe par l’Autre.

    Qu’est-ce que la Bible sinon une histoire de voyages ? De l’ordre de Dieu à Abraham : « Pars de ton pays, de ta famille, et va vers le pays que je te montrerai » (Gn 12, 1) jusqu’à l’appel final de l’Apocalypse : « Amen, viens, Seigneur Jésus » (Ap 21, 20), tout n’est que déplacements. Certains sont librement consentis, d’autres sont contraints et forcés. En les racontant, la Bible nous délivre un message à multiples facettes que nous allons essayer de mieux comprendre. Nous le ferons au rythme même de la Bible, du Premier au Second Testament.

    Les Patriarches

    Sur l’ordre du Seigneur, Abraham est donc parti sans savoir où il allait. D’autres sont partis avant lui. C’est son père Térah qui a quitté Our en Chaldée pour aller à Harran. D’autres, comme nous allons le voir, partiront après lui. Dans ce départ comme dans toute la vie d’Abraham, le texte biblique souligne la démarche de foi, de confiance, démarche qui aura des conséquences pour toute l’humanité : « Toutes les nations de la terre seront bénies en toi » (Gn 12, 3).

    Son voyage le plus lourd de sens est, bien sûr, sa marche vers le mont Moriya (Gn 22, 1-19), avec son fils Isaac, que la divinité lui demande d’offrir en holocauste. Il ne s’agit pas ici de traiter des multiples questions que soulève un tel récit. Retenons la leçon centrale : Abraham sort vainqueur de l’épreuve suprême qui révèle pleinement sa foi. Il peut repartir pour accompagner Sara son épouse jusqu’à la mort (Gn 23, 1-20) et procurer une femme à son fils Isaac (Gn 24, 1-67). Abraham, c’est le voyageur de la foi.

    Quant à Jacob (Gn ch. 27 à 35), son départ précipité n’est pas très glorieux. Après lui avoir fait subtiliser la bénédiction paternelle au détriment d’Esaü, sa mère Rébecca l’envoie précipitamment chez son frère Laban. Jacob y fonde une famille en épousant les deux filles de son oncle. Mais entre eux, les affaires se gâtent ; il est obligé de s’enfuir de nouveau. Il ne trouvera la paix intérieure qu’après son mystérieux combat avec l’ange, au gué du Yabboq. Jacob le trompeur trompé, se roulant dans la poussière avec l’adversaire, y retrouve ses origines et peut enfin se situer en vérité avec lui-même, avec les autres et avec Dieu. Jacob, c’est le voyageur de la vérité.

    Joseph, lui, ne voyagera pas de son plein gré. Ses frères le jalousent à tel point qu’ils le vendent à des marchands en route vers l’Egypte où il connaîtra la carrière que l’on sait auprès de Pharaon (Gn ch. 37 à 50). Il interprétera son voyage forcé comme une action de Dieu pour sauver sa famille. Les voyages de ses frères pour quémander des vivres seront autant d’étapes pour reconnaître leur faute et se réconcilier avec lui. Joseph, c’est le voyageur providentiel.

    Moïse et l’Exode

    Apparemment, rien ne préparait Moïse, prince égyptien, à devenir le voyageur biblique par excellence. Son sens de la justice l’emmènera à tuer un égyptien maltraitant un de ses compatriotes hébreu. Sa fuite au désert le fera rencontrer le Dieu au nom imprononçable (YHWH) qui va lui confier, lors de l’épisode du Buisson Ardent (Ex ch.3) la mission de délivrer son peuple opprimé et de lui donner une terre « ruisselant de lait et de miel »..

    Dans ce bref article, il ne s’agit pas pour nous de raconter tous les détails de cet immense voyage. Contentons-nous d’en pointer les principales étapes, en restant à ce que nous dit le récit.

    Après les nombreux refus de Pharaon, et la célébration de la Pâque (le Passage : le repas mangé debout, sandales aux pieds et bâton à la main ! ), Moïse entraîne le peuple jusqu’à la Mer des Roseaux. Sous la protection de Dieu, il la franchit et la Mer engloutit les Egyptiens.

    Puis commence la longue itinérance de quarante ans à travers le désert du Sinaï. C’est un peuple « à la nuque raide » que Moïse emmène à sa suite ! Souvent en révolte, les hébreux regrettent le pays d’Egypte, oubliant l’esclavage et les corvées. Moïse est obligé d’intercéder pour eux auprès de Dieu. Sur la montagne du Sinaï, Moïse reçoit des mains mêmes de Dieu la Loi (les Dix Paroles – le Décalogue) qui guidera le peuple tout au long de sa route.

    Quant à Moïse, ayant accompli sa mission, il n’entrera pas dans la Terre Promise. Un autre que lui, Josué, y conduira le peuple vers de nouvelles aventures. Moïse restera à tout jamais le voyageur de la fidélité, de la liberté et de la justice.

    L’Exil ou la purification

    Faisons un saut vertigineux dans l’Histoire. Laissons de côté les récits racontant l’installation dans la Terre Promise, la période des Juges, l’instauration de la Royauté, la division entre le Royaume du Nord (Israël) et le Royaume du Sud (Juda). Israël est détruit en 722 par les Assyriens et subit un premier exil. C’est le début de la Diaspora, la dispersion des Israélites de par le monde. Le Royaume de Juda voit affluer un certain nombre de gens du Nord. Jérusalem est détruite en 587 et l’élite du Royaume est déportée à Babylone.

    Si on en croit bon nombre de spécialistes, toute une réflexion théologique s’est faite à partir de cette immense épreuve sur le lieu même de l’Exil. Loin de sa terre, le peuple réfléchit sur sa propre histoire et y découvre l’action discrète et continue de Dieu. A partir de là, toute une production littéraire se développe, se prolonge après le retour de l’Exil et aboutit à la Bible hébraïque que nous avons en mains. La Bible est le voyage de Dieu au cœur d’une humanité bien concrète : ce peuple hébreu qu’il a choisi comme témoignage de sa présence à l’humanité tout entière. L’Exil nous révèle le Voyageur par excellence : Dieu lui-même.

    Mais, pour les chrétiens, ce Voyageur au cœur de l’humanité a pris visage d’homme : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous », dit l’Evangile de Jean (Jn 1, 14). Noël, c’est l’accueil de Jésus, le Voyageur. Dans le prochain article, Nous évoquerons ses déplacements, et les déplacements de ceux qu’il enverra de par le monde porter à tous la Bonne Nouvelle.

    Joseph CHESSERON