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  • Vendredi saint 2024 - Église Saint-Jean-Baptiste

    Permettez-moi, en ce saint jour, de vous partager l’une de mes lectures de ces dernières semaines. Une journaliste indépendante a écrit un livre intitulé La dictature du bonheur. Voici un extrait de la 4ème de couverture : « le bonheur est devenu un impératif, au même titre que la minceur et le succès professionnel. (….) À force de nous répéter que nous sommes les seuls artisans de notre bien-être, la dictature du bonheur ne serait-elle pas en train de nous isoler des autres et de nous couper de nous-même ? »

    Cette question redouble de sens après la lecture de la Passion. Le Christ n’a pas pris soin de lui, mais de nous. Il n’a pas voulu un bonheur immédiat, mais pérenne. Oui, l’Évangile nous convoque au bonheur. Mais pas à ce bonheur artificiel provoqué par une consommation effrénée, ni à celui qui s’acquiert facilement et immédiatement. Le chemin du bonheur est rude : celui prononcé par le Christ dans les Béatitudes (Mt 5, 1-12) annonce cette croix qui se dresse sous nos yeux aujourd’hui. Pour nous chrétiens, ce bonheur nous est promis. Mais ce n’est pas sans passer par la douleur de la croix. L’évangéliste nous ouvre d’ailleurs à ce Mystère lorsqu’il indique : « inclinant la tête, il remit l’esprit » (Jn 19, 30). Traduisons : Jésus, le Christ nous transmet l’Esprit. En rendant son dernier souffle, il insuffle en nous sa vie. Mais cela n’est possible que par cette séparation devant laquelle nous sommes. Comme il l’avait affirmé précédemment : « il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » (Jn 16, 5-7)

    Bien entendu, la Parole de Dieu de ce jour nous convoque à accueillir cette bonne nouvelle : Pour Dieu, Dieu est « avec » nous. Au cœur de nos souffrances et même de nos errances, le Christ-Jésus ne se dérobe pas. Il est celui qui, avec nous, souffre, peine, subit la violence et l’insulte, etc. Cette présence d’abord – ainsi que celle de son Esprit aujourd’hui – est source de notre unique et vrai bonheur. D’une certaine manière, ce récit nous permet d’entendre ce « je suis là » qui est la source du bonheur véritable. D’ailleurs, la mention régulière des Écritures, dans ce récit de la Passion, nous permet de réentendre que Dieu est présent depuis les origines. L’accomplissement (plérôsaï) n’est pas un vain mot : il ne s’agit pas de reconnaître que tout est achevé, mais que tout est livré, c’est-à-dire à disposition. À nous de nous servir ! Dieu est là, à nos côtés, et voici ce qui doit nous habiter. Car cette présence permanente de Dieu nous ouvre à la compassion.

    Sans tomber dans l’idéologie d’une pensée positive, qui voudrait occulter l’atrocité de la Passion, ouvrons les yeux sur ces gestes de compassion présents dans cette page d’Évangile selon Saint Jean, avec le disciple qui prend chez lui Marie, mère de Jésus-Christ ; et Joseph d’Arimathie, qui offre une sépulture au Christ-Jésus. L’un et l’autre de ces disciples expriment à leur manière ce « je suis là » si utile pour nos vies. Ils sont l’expression de notre capacité à être reliés, mêlés, unis les uns aux autres. Là est la source du bonheur. Rien qu’aujourd’hui, ouvrons nos yeux sur cet Amour livré, offert, insufflé qui relie : celui de ces disciples, celui du Christ. Amen.

    P. Julien DUPONT