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  • 1 - Programme des conférences du Premier trimestre 2021

    2 - Rediffusion des « Mardis d’éthique publique » Du Centre Sèvres

    2 - Atelier philo animé par le père Jacques Bréchoire


    Programme des conférences du Premier trimestre 2021


    Conférence annulée et reportée en raison des mesures sanitaires
    -* Jeudi 4 mars 2021 à 20h30 au Lycée Saint André

    "Pour reconstruire la Maison Commune, osons transformer le monde, la société et nous-même"
    Avec Cécile RENOUARD, Blandine et Arthur de LASSUS


    Conférence annulée et reportée en raison des mesures sanitaires
    -* Lundi 25 janvier 2021 à 20h30 au Centre du Guesclin

    "Migrants", "étrangers", "réfugiés", etc.
    JPEG Quand mal nommer peut ajouter aux malheurs...

    avec Florian AUMOND
    Qu’est-ce qu’un migrant ? Est-il nécessairement également un étranger ? Les deux termes sont-ils alors interchangeables ? Et un réfugié ? Est-il aussi un migrant ? Un touriste est-il un migrant ? Quid du baroudeur, parti visiter à vélo ou à pied les quatre coins du monde ? Et de l’expatrié ?

    Les mots de la migration font l’objet de nombreuses confusions. Elles peuvent résulter de la difficulté, indéniable, à saisir les différents profils de personnes inscrites dans la mobilité. Mais elles témoignent aussi d’une approche souvent biaisée du phénomène migratoire. Dans l’imaginaire collectif, le "migrant" évoque principalement un Homme quittant les territoires désolés du Sud global pour se diriger vers les terres prospères du Nord ; il se distinguerait alors de l’ "expatrié", travailleur du Nord venu aider au "développement" du Sud, comme du "baroudeur", figure romantique du voyageur.

    Ces distinctions peuvent ajouter aux "malheurs" du premier dès lors qu’il est ainsi opposé aux deux autres. Elles sont donc à interroger. C’est ce que propose cette conférence en revenant sur les différentes catégories juridiques de personnes inscrites dans la mobilité, précisant leurs contours et contenus, proposant quelques données chiffrées de leur réalité au niveau mondial et des éléments du régime juridique applicable aux personnes concernées.

    * Florian Aumond est maître de conférences à la faculté de droit de Poitiers. Il est spécialisé en droit international public. Ses recherches portent notamment sur les droits humains dans le contexte des migrations internationales.

    De nombreuses associations participent à cet événement ("Accueil d’Urgence de l’Etranger", ARDDI, "Migr’Actions", "Cent Pour Un", le Secours Catholique, la CIMADE...) pour sensibiliser un public le plus large possible à cette thématique et faire connaître ce qui existe à Niort dans ce domaine.
    Le maintien de cette soirée reste bien évidemment soumis aux annonces gouvernementales qui pourraient être faites le 20 janvier et notamment à la levée du couvre-feu (ce qui pour l’heure paraît hélas peu probable !). En cas d’annulation nous vous tiendrons informés au plus tard le 21 janvier.
    Par ailleurs, outre les mesures sanitaires en vigueur - port du masque et distanciation physique - il vous est demandé de vous inscrire au préalable soit par téléphone au 06 80 84 09 62, soit de préférence par mail à l’adresse suivante : eshcommunication@gmail.com.


    Conférence ANNULEE
    -* Jeudi 10 décembre 2020

    De la Genèse à l’Evangile : la notion biblique de création,
    à l’heure du défi écologique

    Avec Yves-Marie BLANCHARD *

    Les lectures occidentales ont souvent privilégié les dimensions sociale et historique de la Bible. Or, depuis les récits de création jusqu’à l’enseignement de Jésus, les textes bibliques manifestent aussi un grand intérêt pour la nature et l’univers, autrement dit la question si actuelle de l’environnement. La situation présente invite donc à relire la Bible, aussi bien l’Ancien que le Nouveau Testament, avec une attention renouvelée tant à la théologie sous-jacente qu’aux leçons de sagesse ainsi proposées au lecteur contemporain.

    * Yves-Marie Blanchard est professeur honoraire de l’Institut Catholique de Paris


    -* Mercredi 21 octobre 2020 à 20h30
    à l’église Saint Jean-Baptiste, 1 rue Joseph Cugnot à Niort ( et non comme annoncé précédemment au Centre Du Guesclin à Niort)
    Retour des fondamentalismes religieux et laïques dans l’enseignement du fait religieux ?
    Avec René NOUAILHAT * et Matthieu FAUCHER**
    JPEGEn 2017, sur plainte anonyme, un instituteur d’un petit village de l’Indre a été brutalement interdit d’enseignement puis déplacé sous le motif qu’il avait traité du fait religieux à partir, entre autres, de textes d’Évangile. René Nouailhat, impliqué dans la mise en œuvre du Rapport Debray de 2002, s’est saisi de cette affaire dans un livre intitulé « La leçon de Malicornay. Le fait religieux pris en otage » Il nous proposera une réflexion de fond sur le thème de la laïcité et du traitement scolaire des religions, dans une situation largement dégradée du fait de fractures sociales aggravées, de radicalismes religieux et d’une non moins préoccupante radicalisation laïque dont l’affaire de Malicornay est une illustration quasi emblématique.
    * René NOUAILHAT, docteur ès Lettres, est historien des religions. Il a fondé l’IFER (Institut de formation à l’étude et l’enseignement des religions) au Centre Universitaire Catholique de Bourgogne, où il a ouvert de nouveaux parcours de formation et de recherche en didactique du fait religieux.
    ** Mathieu FAUCHER est l’instituteur de Malicornay condamné pour avoir parlé de la Bible à ses élèves.
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    Conférence ANNULEE et REPORTEE à une date ultérieure
    -* L’urgence écologique : un défi pour les Droits de l’Homme
    qui devait avoir lieu le 12 novembre
    Avec Martin Kopp *

    En partenariat avec l’Eglise Protestante Unie de France, le Secours Catholique, l’ACAT, le CCFD, la Cimade, Amnesty International.
    Jusqu’à la nausée, les sciences nous répètent que nous sommes confrontés à un défi écologique urgent. Les conditions mêmes de notre vie et la diversité du vivant sont en danger. Est-ce là un simple enjeu environnemental ?
    Non, car de nombreux Droits de l’Homme sont mis en cause, dans des situations allant des migrations forcées aux atteintes aux peuples autochtones, et même du fait de certaines politiques de réponse à la crise. Conscients de cette dimension, nous sommes appelés à questionner notre propre rapport à la nature et à inventer, pour soi et ensemble, d’autres manières de vivre, sobres et joyeuses. Les réflexions de Martin Kopp aideront chacun à progresser dans sa propre réflexion. Il y va de l’avenir de la planète, donc du nôtre...

    * Martin KOPP est théologien écologique protestant, docteur de l’Université de Strasbourg, membre du Conseil et président de la commission écologie - justice climatique de la Fédération protestante de France.

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    -* Jeudi 17 septembre 2020 à 20h30
    Lycée Saint-André
    14, rue de Souché – Niort
    Cinq ans après Laudato si’, agir en Eglise face à la crise écologique.

    Avec Mgr WINTZER Archevêque de Poitiers,
    Clémence POURROY et Arnaud CHAMBAT (membres de l’équipe diocésaine de veille écologique)

    Depuis de nombreuses années, les scientifiques ne cessent de démontrer le lien existant entre le mode de vie de nos sociétés post-industrielles et les dérèglements planétaires (réchauffement climatique, fontes des glaciers, perte de biodiversité, …)
    Il y a cinq ans, notre Pape François a réveillé les consciences en publiant peu après son élection l’Encyclique Laudato si’ sur « l’écologie intégrale ». Ce texte appelle à une véritable « conversion » écologique.
    La Conférence des évêques de France en a fait une priorité pour les trois années à venir. En novembre, elle a invité à sa session plénière deux laïcs par diocèse à accompagner leur évêque pour réfléchir ensemble à ce que les catholiques peuvent mettre en place pour favoriser la conversion écologique.
    Aujourd’hui c’est notre évêque qui nous appelle, dans sa lettre pastorale, à nous saisir de ces questions.
    Le temps est à l’action.


    Rediffusion des « Mardis d’éthique publique » Du Centre Sèvres du Premier trimestre 2020-2021 (A la salle paroissiale d’Aiffres)

    -* LUNDI 12 octobre 2020 à 20h15 à la salle Jean Vilar (en centre bourg à Aiffres et non à la salle paroissiale comme prévu précédemmentJPEG

    Avec Gaël GIRAUD

    Le Green Deal européen a-t-il des chances de succès ?
    Comment réconcilier reconstruction écologique et gestion des dettes publiques ?

    -* LUNDI 15 décembre (thème à préciser)



    Atelier philo animé par le père Jacques Bréchoire : attention les 2 rencontres des 6 et 26 avril 2021 sont annulées en raison des nouvelles consignes sanitaires

    L’atelier philo animé par le père Jacques Bréchoire de 15h à 17h à la cure de Saint Hilaire - 34 avenue du 14 juillet à Niort.

    Les dates des prochaines rencontres de 15 à 17h salle Viala (entrée par la rue Viala) en raison du couvre-feu sont :

    • les lundis 22 février et 15 mars,
    • le mardi 6 avril, rencontre annulée dans le respect des nouvelles consignes sanitaires
    • le lundi 26 avril, rencontre annulée dans le respect des nouvelles consignes sanitaires
    • le lundi 17 mai

    Attention : Pour une bonne organisation de l’atelier et assurer la sécurité de chacun, merci de bien vouloir vous pré-inscrire :
    soit en téléphonant au 06 80 84 09 62
    soit par mail à l’adresse suivante : baronmaurice48@yahoo.fr


    Thème de l’année :

    Violence et amitié : deux questions philosophiques

    On pourrait croire d’emblée que la violence et l’amitié relèvent de l’éthique, de la manière de se comporter dans le monde, à charge pour les hommes, de faire reculer l’une et promouvoir l’autre.

    Mais en raison de l’ampleur de ces deux réalités, n’a-t-on pas l’impression que nous sommes à un niveau de réalité et de questionnement qui excède l’homme. C’est là que la philosophie (la métaphysique plus précisément) est d’un grand prix, aidant à découvrir ce « plus grand » dans lequel nous sommes immergés : un « plus grand » de bien et d’émerveillement, un « plus grand » de mal et d’effroi.


    Première séance, lundi 1er février 2021

    - Ci-contre pdf : Les trois « départs » de la philosophie

    1 - Les trois « départs » de la philosophie

    1 – Introduction

    Violence et amitié ne sont pas des questions étrangères pour nous : c’est notre quotidien, c’est la source de nos souffrances douloureuses et de nos plus belles joies. Une violence subie (sans parler de celle dont nous usons nous-mêmes), quoi de plus dégradant et humiliant, et l’amitié, quoi de plus « réussi » pour la vie des hommes.

    Ce qui attire d’emblée notre attention, c’est pour la violence : comment en est-on arrivé là, à cette extrémité de devenir méchant. Et pour l’amitié : comment Dieu est-ce possible qu’elle soit si belle, qu’elle existe, qu’elle soit « pour moi » et « entre nous » ?

    Ce « comment se fait-il » est le point de départ de la philosophie, selon la tradition la plus constante. Le « comment se fait-il » relève de l’émerveillement et de l’étonnement. Mais il faut ajouter un troisième « départ » : le scandale, la révolte devant le mal radical qu’est la violence subie et actée.

    Il peut être intéressant, au début de ce parcours de réflexion, de passer en revue ces trois « affects » qui font « partir » la philosophie (comme on parle d’un départ de feu, souvent difficile à maîtriser).

    2 - L’émerveillement et l’étonnement

    2.1 – Platon

    Nous devons à Platon cette doctrine qui veut que la philosophie débute par l’émerveillement.

    « Cette attitude, qui consiste à s’émerveiller, est typique du philosophe. La philosophie en effet ne commence pas autrement » (Théetète 155d).

    Il ajoute aussitôt, se servant d’un mythe, comme il a coutume de le faire, que l’émerveillement (thaumazein en grec) -, engendre un savoir digne des dieux (Isis étant la messagère des dieux auprès des hommes). Il y a selon lui quelque chose de divin dans l’émerveillement.

    Pierre Gilbert commente librement cette pensée, grâce aux catégories de tremendum (effrayant) et de fascinans (fascinant), catégories qui, toutes deux ensemble, caractérisent le sacré :

    « L’étonnement naît d’un spectacle inquiétant qui transporte dans un pays étrange où le voyageur n’a plus de sécurité ni d’évidences. Nous sommes étonnés quand notre monde habituel se fissure et laisse apparaître un monde nouveau, imprévu, peut-être insaisissable, et par là terrifiant. Ce monde a une force inquiétante. L’étonnant est tremendum… Il est aussi merveilleux, désirable, attirant. Le tremendum est paradoxalement fascinans… En me laissant émerveiller, j’accueille une étrangeté que je ne peux pas mesurer à l’aune de mes habitudes » (La simplicité du principe, p. 40).

    2.2 – Aristote

    Aristote a traité aussi de ce sujet du commencement de la philosophie.

    « Les hommes ont commencé à philosopher, maintenant comme à l’origine, mus par l’étonnement. » Tel fut le cas des tout premiers philosophes dit Aristote : « Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit. Puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du soleil des étoiles et la genèse de l’univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître son ignorance » (Méta A 982b).

    Paul Gilbert commente : L’intelligence spéculative…« s’étonne de l’incapacité de ses solutions à rendre compte vraiment des nouveautés sensibles imprévues. A l’étroit dans ses certitudes antérieures, livrée par les faits nouveaux, à l’aporie (l’impasse du savoir), elle se convainc qu’elle ne peut pas progresser sans abandonner ses voies anciennes d’enquête. Il lui faut trouver un chemin nouveau pour une solution plus universelle et capable d’intégrer les faits étranges, sans perdre pour autant ce qui avait déjà pu être unifié. L’étonnement révèle à l’intelligence sa puissance de transcendance envers le sensible mouvant et multiple » (La simplicité du principe, p. 42).

    On peut distinguer l’étonnement d’Aristote et l’émerveillement de Platon. Celui-là est plus ample, plus complet. L’étonnement se situe au niveau du problème à résoudre ponctuellement, l’émerveillement au niveau du mystère à recevoir et faire fructifier à l’infini. En effet

    « pour Aristote, l’étonnement est en pratique destiné à s’éteindre naturellement quand est trouvée la solution à la difficulté qui l’a engendrée… Pour Aristote, contrairement à Platon, l’étonnement ne naît pas du dynamisme de l’esprit, mais de la pression des faits et de l’inadéquation de nos savoirs antérieurs. L’étonnement force à constituer des jugements nouveaux qui reflètent plus exactement la complexité du réel. Au terme de ce travail, le sentiment d’étonnement n’a plus de raison… Chez Platon, l’étonnement est un émerveillement qui ouvre l’esprit au mystère de l’origine divine de l’intelligible. Chez Aristote, il fait que la science progresse pour le plaisir du savant… » (p. 42-43).

    L’étonnement s’arrête quand la solution de ce qui était un problème est trouvée ; l’émerveillement se poursuit et se renouvelle sans cesse, car le mystère qu’il rencontre s’approfondit, se creuse à mesure qu’il se découvre.

    Cette différence entre problème et mystère a été bien étudiée par le philosophe Gabriel Marcel.

    « Là où il y a problème, je travaille sur des données placées devant moi, mais en même temps tout se passe comme si je n’avais pas à m’occuper de ce moi en travail. Il n’en est pas de même là où l’interrogation porte sur l’être… Par là nous pénétrons dans le méta-problématique, c’est-à-dire dans le mystère. Un mystère c’est un problème qui empiète sur ses propres données, qui les envahit et se dépasse par là même comme problème » (Etre et avoir, Aubier, p. 250).

    L’étonnement, l’émerveillement devant le mystère (qui peut être très douloureux) voilà bien l’objet super-essentiel de la philosophie. Elle est confrontée au mystère des choses.

    2.3 – Heidegger

    On a des échos de cette doctrine ancienne dans la philosophie moderne, chez Heidegger par exemple : « L’étonnement porte et régit d’un bout à l’autre la philosophie » (Heidegger, (« Qu’est-ce que la philosophie ? », p. 32).

    Pour Heidegger, l’étonnement est un affect, un « pathos ».

    « En fait, un pathos ou une passion, est essentiel pour ouvrir l’esprit à l’être. L’étonnement est une attitude qui fait partie des « passions ». D’ordinaire on entend par passion un bouillonnement affectif et incontrôlé de la subjectivité. Mais pour l’analyse philosophique, la passion est plus simplement le contraire de l’action. L’homme passionné subit l’attrait d’une valeur, d’une idée, d’une personne. D’ailleurs étymologiquement, « pâtir » signifie « souffrir, patienter, supporter, endurer, se laisser porter par, céder à l’appel de… » (Heidegger, p. 33).

    Selon Gilbert qui commente : « L’étonnement se révèle comme une disposition originaire, caractérisée par deux traits : un arrêt, une ouverture. « Dans l’étonnement, nous sommes en arrêt. C’est comme si nous faisions recul devant l’étant tel qu’il est (l’étant = telle réalité existante, par exemple une personne rencontrée, un paysage…), devant le fait qu’il est et qu’il est ainsi, et qu’il n’est pas autrement » (p. 34). La conscience se soumet ainsi à ce qui est, mystérieux et inquiétant. Mais en même temps, l’esprit étonné est « arraché vers et pour ainsi dire enchaîné par ce devant quoi il fait retraite » (p. 34). Il se laisse fasciner par la merveille perçue. Sa vocation à un exil et en même temps à une extase lui est ainsi révélée comme son essence la plus haute » (Gilbert, p. 44).

    2.4 - L’admiration

    Paul Gilbert évoque à la fin d’un de ses livres, l’affect de l’admiration. Nous ne sommes pas loin de l’émerveillement et de l’étonnement, émerveillement et étonnement que les choses s’offrent à nous les humains, si belles et là, disponibles spécialement pour nous.

    « On a pu dire que l’origine de la philosophie, le principe qui engage et accompagne tout son déploiement, est l’étonnement. Mais ce qui scelle son mouvement, ce qui le consacre ultimement et affermit son sens, c’est l’admiration. L’admiration est accompagnée par le ravissement et le consentement. Elle exerce une extase et remplit d’une plénitude inattendue. Elle réjouit l’esprit et l’exauce. Elle est aujourd’hui difficile, en nos temps de gloire tonitruante des sciences, de leurs images et de nos scepticismes. Nous voyons sans regarder, nous entendons sans écouter. Nous ne voyons même plus la splendeur de la lumière et la beauté des corps. Nous n’entendons même plus le murmure du vent et le cri de la souffrance. Nous nous sommes distraits de la réalité à force de nous préoccuper de nos projets et de manipuler nos chairs. L’asphyxie de nos jours suscite dans notre monde des désirs qui flirtent avec l’aliénation, avec des expériences soi-disant extatiques mais qui, artificielles, manquent d’humanité et provoquent des effondrements spirituels ou humains. L’admiration est calme, plus austère sans doute que ces extases, moins agitée, mais responsable, unifiée intérieurement, et surtout modeste.

    Le mot l’indique : « admirer c’est « regarder vers », laisser ce qu’on voit guider le regard, sans jamais le pénétrer et l’approprier, sans jamais l’absorber. L’admiration est tension et attente, espérance, attention plus qu’intention. La réserve et la prudence envers soi-même, lui sont essentielles… Les distraits et les pressés ne comprendront jamais sa saveur métaphysique et ils vivront sans raison » (La patience d’être, p. 300-301)

    2.5 - De nombreux auteurs parlent de l’émerveillement, de la gratitude, de l’admiration

    « Il existe une sorte de gratitude fondamentale pour tout ce qui est comme il est (Hannah Arendt, cité par Elisabeth de Fontenoy, Actes de naissance, Seuil, p. 186)

    « Que soit béni d’exister ce qui existe » (Auden, cité par Hannah Arendt, La vie de l’esprit, PUF, p. 505).

    « Cet étonnement qui vient en réponse (en réponse à ce qui se donne) n’est pas chose que l’homme puisse provoquer de lui-même ; l’étonnement est pathos, on le subit, on n’en prend pas l’initiative ; chez Homère, c’est le dieu qui agit, c’est lui dont l’homme doit supporter l’apparition, qu’il ne peut pas fuir. En d’autres termes, ce qui déclenche l’étonnement des hommes est une chose familière et pourtant normalement invisible, une chose qu’ils sont forcés d’admirer. L’étonnement, point de départ de la pensée, n’est pas le fait d’être intrigué, surpris ou perplexe ; il comporte de l’admiration… Le discours (philosophique) prend alors forme de louange, glorification non pas d’un phénomène particulièrement saisissant, ou de la totalité des choses de l’univers… » (Hannah Arendt, La vie de l’esprit, p. 169).

    3 - La révolte

    3.1 – La révolte

    Nous venons de le voir, pour Platon, la source de l’intérêt philosophique est l’émerveillement ; pour Aristote, l’étonnement. Dans ces deux cas, on ne peut pas rencontrer la violence ni le mal. Sauf à être pervers, comment peut-on s’émerveiller devant un acte ou une manière d’être qui fait violence. Ce faisant, l’homme qui réfléchit aux choses, aux événements, à la vie… s’il en restait aux choses belles et bonnes qui émerveillent, étonnent, suscitent l’admiration, ignorant le mal, le mauvais, le pervers, ne serait pas un homme. Ce serait au plus un niais.

    Mais justement, il est une autre attitude spirituelle que celles de l’émerveillement et de l’étonnement, qui est la révolte qui fera dire : non, la violence, c’est inadmissible, c’est choquant, c’est mortifère… La philosophie en ce cas a sa source dans la révolte. Nous faisons de la philosophie parce que nous sommes des révoltés. Voilà donc un nouveau « départ » de la philosophie, essentiel.

    Plus précisément nous sommes blessés, scandalisés, dans notre liberté. Celle-ci est empêchée et cela est révoltant, la nôtre, mais bien sûr celle de tant d’autres. On se révolte parce que c’est tragique d’être aliéné. Un des ressorts de la philosophie est donc la révolte, le sentiment de révolte.

    L’homme se révolte devant le mal du monde : cela aussi – et pas seulement les choses bonnes -, le fait réfléchir : pourquoi le monde est-il violent, pourquoi la violence est-elle générale ? Sans cet affrontement à la dure réalité du monde, démarrerions-nous une réflexion ? La violence fait réfléchir. Le sentiment d’injustice due à la violence déclenche une réflexion sur les choses (tremblement de terre, maladie, mort, en ce moment, pandémie), sur la vie humaine (assassinats, esclavage…), sur le ressort (métaphysique) qui pousse un être à la violence. Comment (métaphysiquement), cela se comprend-t-il, se peut-il ? Encore : pourquoi je ressens la violence comme violente ? Quel est cet « affect » qui me submerge à son spectacle.

    En un mot, pourquoi en philosophie – et en général, lorsqu’on réfléchit aux choses et à la vie – rencontre-t-on inévitablement la question de la violence ? Ne pourrait-on pas passer outre devant une réalité si peu intéressante, si dangereuse, si négative, et mener son chemin de réflexion à partir des transcendantaux du beau, du vrai, du bien, de l’un ou de l’être, chemin plus confortable, mais qui peut faire illusion si la question du mal est écartée. Passer outre, évidemment cela est possible, mais insoutenable moralement et métaphysiquement, sauf à trahir la philosophie.

    Un intellectuel français et non des moindres, peut incarner cette exigence de révolte : Albert Camus. Il a écrit L’homme révolté, Gallimard, 1951 puis 1979. La fréquentation de cette magnifique personnalité vaut la peine.

    3.2 - La protestation

    Le passage par la révolte est un passage obligé. Par exemple, peut-on accéder au bien, directement par une sorte de contemplation et d’émerveillement ? Pourquoi pas. Mais « en fait l’attrait du bien accède à la conscience, et donc à la liberté de choisir, à la condition toutefois d’être contredit. L’effort pour surmonter ce qui s’oppose à l’attrait du bien fait surgir la parole philosophique où la raison articule l’élan de la liberté qui réagit à ce qui nie son essence, c’est-à dire, l’injustice et le mensonge. A l’origine de la philosophie, il n’y a pas une proposition positive, mais une négation vécue » (Paul Gilbert, Violence et compassion, p. 27).

    « En son origine, la philosophie ne prend pas la forme paisible d’une réponse à l’attrait de l’intelligence vers un plus ou un mieux connu, mais celle d’une protestation contre l’injustice et le mensonge, c’est-à-dire contre ce qui ne devrait pas être… La protestation est originaire en ce sens qu’elle a une valeur en soi… La première expression de l’intelligence humaine est de « protester », mot qui signifie « rendre témoignage devant », ce qui apparente la protestation à l’ « attestation » (p. 29).

    3.3 – La réalité du mal

    « … le travail philosophique n’est pas réductible à une interprétation intellectuelle de la réalité puisqu’il provient moins d’un étonnement que d’une protestation contre ce qui est et ne devrait pas être. Ce ne sont pas seulement les interrogations de l’intellect qui soutiennent la réflexion philosophique, mais une inquiétude qui anime la liberté et la rend attentive à ce qu’elle peut exiger d’elle-même tout en considérant les conditions de son engagement effectif dans le monde. En ce sens la philosophie ne se contente pas de « contempler » les étants (les choses, les êtres qui existent) déjà réalisés, terminés ou « finis », disponibles pour les scientifiques, mais elle s’attache à d’autres dimensions, préalables ou a priori, et donc essentielles de l’expérience humaine, des dimensions qui appartenant au monde de la liberté ont à voir avec les aspects confus et menaçants de nos volontés destructrices. La métaphysique ne peut pas par conséquent ne pas considérer le mal en la radicalité de son origine, le mal qui fait que ce qui est ne devrait pas être et que ce qui devrait être n’est pas, mal qui est donc en contradiction de l’être. L’homme est pris dans le mal. Il est le seul vivant qui soit capable d’agressivité « maligne », notait E. Fromm. Même quand il cherche à assurer la permanence de son groupe, il utilise des moyens de violence, par exemple celle qui est infligée au bouc émissaire selon les thèses de René Girard » (p. 218). Doctrines que nous allons étudier.

    3.4 - Le scandale, l’énigme

    « Comment accéder à la sagesse qui permet à chacun de prendre une juste mesure de son destin sans avoir jamais été confronté à l’épreuve qui le met face à la fragilité de cette vie qu’un rien peut briser ? En un mot, sans être passé par l’épreuve qui le fait vaciller jusque dans ses certitudes les plus assurées ? Un tel type d’épreuve est le tragique même, face nue de sa condition de vivant mortel.

    Dans la philosophie, la question qui ouvre la pensée à elle-même émerge de l’étonnement de l’homme devant le monde. Etonnement, c’est-à-dire pensée questionnante, demandant à propos de tout ce qu’elle rencontre : « qu’est-ce que c’est ? »... Le tragique ne naît pas autrement… Il est bien lui aussi, une interrogation sur la réalité humaine, Mais d’entrée de jeu, il imprime à sa question une tonalité différente. Cette dernière ne vient pas tant de l’étonnement que du scandale. Elle naît dans l’épreuve du malheur qui s’abat sur l’homme… C’est la question d’une existence qui n’est pas sereine mais blessée, car sous le signe de la mort et du délaissement. Non pas devant le monde, mais dans la proximité d’une énigme »…

    Parler d’énigme, c’est donc désigner ce qui demeure comme un « point de nuit » dans la vie même de l’homme et qu’il ne parvient pas à comprendre d’une manière claire : ainsi son rapport à la mort, la confrontation à la violence qui l’habite et, enfin, l’ambiguïté du divin » (François Chirpaz « L’esprit tragique », Etudes dec 2009, p. 651 …655).

    4 – Conclusion : au départ de la philosophie, une affection

    Nous sommes invités à ne pas négliger ce troisième « départ » de la philosophie, si nous ne voulons pas passer pour de stupides illuminés pour lesquels tout est beau, tout est gentil. La réflexion philosophique sollicite des personnes engagées dans les joies et les scandales du monde.

    4.1 - Les deux ensembles : l’émerveillement-étonnement, et la révolte :

    « Je me suis arrêté sur deux sources dont est née la pensée, telle que nous la connaissons historiquement, l’une grecque, l’autre romaine, et ces sources diffèrent à tel point qu’elles en sont presque opposées. D’une part l’étonnement admiratif devant le spectacle qui entoure l’homme et que son corps et son esprit le mettent à même d’apprécier ; d’autre part, la cruelle extrémité qui consiste à être jeté dans un monde dont l’hostilité écrasante, dominé par la peur et que l’homme s’efforce à tout prix de fuir » (Hannah Arendt, La vie de l’esprit, p. 213).

    Hannah Arendt dit de façon magistrale que l’expérience du scandale et de la révolte, suppose une expérience antérieure : celle, positive, de l’étonnement, sinon, il n’y aurait évidemment pas de sens de la révolte. Avant l’étonnement devant la violence et le mal, il y a « l’étonnement devant le bien, le beau, le vrai. (Texte un peu difficile)

    « Tout se passe comme si, dans ce refus d’avouer l’expérience de l’horreur, de la prendre au sérieux, les philosophes avaient hérité du refus traditionnel de soumettre au domaine des affaires humaines ce thaumazein, cet étonnement devant ce qui est tel qu’il est… Car l’horreur sans voix vis-à-vis de ce que l’homme peut faire et de ce que le monde peut devenir, est, à beaucoup d’égards lié à l’étonnement sans voix de la reconnaissance d’où surgissent les questions de la philosophie » (« L’intérêt pour la politique », cité par Véronique Albanel, Amour du monde, La nuit surveillée, p. 299).

    4.2 – L’importance considérable des affects en philosophie. Ils sont son point de départ : l’affect de l’émerveillement, de l’admiration, de l’étonnement, du scandale et de la honte. Ceci n’est-il pas étrange ?

    C’est en tout cas un enseignement précieux, au début de notre parcours : la philosophie n’est pas, selon l’image de marque habituelle qui lui est attachée, une réflexion abstraite et indéterminée, cérébrale, froide et neutre, ni une réflexion sur les idéaux transcendants (le beau, le vrai, le bien), mais une « affection » qui nous touche. Philosopher c’est être touché par les joies et les malheurs du monde, c’est accepter d’être « affecté ». La philosophie en son surgissement premier est une affection ! Ceci peut étonner, mais c’est ainsi, à condition que nous distinguions entre affection et sentimentalisme. Evidemment !

    « Le savoir ne débute pas dans le savoir, mais dans une expérience où la raison s’apparaît à elle-même au sein de ce qu’on pourrait appeler, avec Malebranche, un « sentiment » (Gilbert, Violence et compassion, p.25)

    4.3 – Le troisième « départ » de la philosophie va nous occuper l’année durant, puisque nous devons traiter de la violence et élever une grande protestation à son endroit. Cette réflexion philosophique est la suite logique de nos trois années consacrées aux transcendantaux du vrai, du bien et du beau. Car, il y a aussi le mal.

    Mais il faut commencer par se mettre d’accord sur ce qu’est la violence ?