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  • Mystagogie [1] et temps pascal

    P. Bernard Châtaignier

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    Le temps de la mystagogie est plus particulièrement lié au temps pascal. Les messes des dimanches de Pâques constituent les temps forts de la mystagogie et sont désignées comme « messes des néophytes ». La fête de Pâques n’est donc pas seulement un point d’arrivée du carême, mais l’ouverture de la cinquantaine d’allégresse.

    La dynamique du temps pascal

    Le temps pascal commence par la fête de Pâques et s’achève avec la fête de la Pentecôte. Ce temps dure cinquante jours, c’est-à-dire sept semaines de sept jours, soit quarante neuf jours qui ouvrent sur le cinquantième jour.
    Il a été appelé cinquantaine d’allégresse, où chaque jour résonne du chant de l’Alléluia.
    Le Christ meurt sur la croix et est mis au tombeau le sixième jour, celui qui dans le récit de la genèse correspond à la création de l’homme. Le jour du sabbat, le septième, il repose au tombeau. L’angoisse atteint alors le croyant qui se demande si ce repos est éternel. Le jour suivant va être le huitième : c’est le matin de la Résurrection.

    De dimanche en dimanche, les chrétiens se rassemblent pour célébrer ce matin béni. De semaine en semaine, ils sont conduits jusqu’au dimanche qui est toujours un huitième jour, mais qui est aussi le huitième dimanche après la fête de Pâques.

    Le récit qui est lu, fait entendre l’événement inouï où les apôtres reçoivent le don de l’Esprit Saint et sortent de la maison verrouillée où les tenait la peur. En quelque sorte, faisant mémoire de dimanche en dimanche du Christ sorti vivant du tombeau verrouillé, à leur tour ils sortent vivants et deviennent témoins de Jésus ressuscité.

    La mystagogie est liée au temps pascal parce qu’elle s’inscrit dans ce mouvement où il s’agit d’actualiser dans sa propre existence le mystère même de la mort et de la résurrection du Christ. Pour dire ce chemin de vie que fait vivre la mystagogie, on parle d’intériorisation.
    L’expression est curieuse puisqu’en fait l’enjeu est de sortir pour le témoignage. Le paradoxe se comprend quand on envisage cette intériorisation comme l’ouverture du cœur qui laisse agir le mystère en soi et ouvre la vie humaine à la dimension de l’infini, à l’espace même de Dieu : cette intériorisation demande de ne pas enfermer dans des murs la vie humaine.

    La figure particulière de la première semaine et du deuxième dimanche de Pâques

    Dans l’antiquité chrétienne, la première semaine du temps pascal était appelée la semaine « in albis », c’est-à-dire la semaine en blanc. Dans la pratique actuelle, on parle de l’octave de Pâques.
    Pendant toute cette semaine, au cœur de la prière eucharistique, l’Église ajoute une intercession pour les nouveaux baptisés.
    Les nouveaux baptisés, au cours de ce deuxième dimanche, déposaient leurs vêtements blancs et prenaient place au milieu des autres fidèles. Cette pratique ancienne révèle un autre enjeu de la mystagogie qui est de s’intégrer à la vie d’une communauté, à la vie ecclésiale.

    L’évangile qui est lu raconte l’histoire de Thomas, de l’apôtre qui précisément était absent le premier dimanche, mais se trouve présent huit jours plus tard. Le néophyte est invité à considérer Thomas comme son jumeau, à reconnaître comme lui la présence du ressuscité au milieu des disciples rassemblés, à confesser sa foi, à devenir apôtre, c’est-à-dire envoyé.

    Comme Thomas, les nouveaux baptisés rencontrent des sœurs et des frères qui attestent de leur foi en Jésus ressuscité et en qui ils doivent faire confiance.
    Comme l’avait figuré la célébration de la Tradition pendant le catéchuménat, ils sont invités non seulement à croire ce que dit l’Église, mais plus encore à croire l’Église quand elle dit la foi, à lui faire confiance. Leur foi se nourrit de la Parole, ils doivent comme Thomas entrer dans la béatitude qui invite à croire sans voir.

    Parallèlement, la liturgie propose la lecture du livre des Actes des Apôtres, du récit qui raconte l’évangile à l’œuvre dans la vie de l’Église naissante. L’assurance que donne l’Esprit Saint aux premiers apôtres appelle les apôtres d’aujourd’hui à écrire avec leur vie le témoignage actuel de l’évangile.

    Les finalités de la mystagogie

    Le Directoire Général pour la Catéchèse (DGC § 89), se référant à l’époque patristique rappelle les deux grandes finalités de la catéchèse mystagogique « qui aidait à intérioriser ces sacrements et à s’incorporer dans la communauté. »

    Pour expliciter ce verbe « intérioriser », faisons un rapide parcours biblique.
    Avec Moïse, la loi est écrite sur des tables de pierre, elles sont posées devant le croyant, il doit observer les lois écrites, elles ne sont pas en lui.
    Avec le prophète Jérémie (31, 33) s’annonce la parole qui sera inscrite dans les cœurs, elle devient exigence intérieure, lettre inscrite au plus profond du croyant, lettre qui le fait vivre. Pour le chrétien, cette vie intérieure évoque la vie dans l’Esprit : précisément à la Pentecôte, Pierre parle, sort de lui-même la parole qui annonce la Bonne Nouvelle. L’enjeu de la mystagogie est de vivre ce passage en se référant aux sacrements vécus : le baptême n’est pas que l’histoire d’une eau qui coule sur le front, mais devient l’histoire d’une personne qui en communauté a été baignée dans le mystère du Christ.
    Pour le dire autrement : à Pâques, nous célébrons Le Seigneur Jésus sorti vivant du tombeau verrouillé, à la Pentecôte nous célébrons l’église naissante sortie vivante de la maison verrouillée.
    Intériorisant de dimanche en dimanche le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, les apôtres l’actualisent dans leur vie. Le temps pascal a toujours pour nous cet enjeu. C’est pourquoi aussi, on associe volontiers le langage symbolique à la pratique de la catéchèse mystagogique. L’ouverture du tombeau et de la maison touche le langage lui-même qui s’ouvre et pousse l’auditeur vers le mystère.

    L’eucharistie comme première expérience mystagogique

    Au moment de son baptême, le catéchumène est plongé dans la mort avec le Christ pour avoir part à sa résurrection. L’eucharistie qu’il va vivre en principe aussitôt va le faire entrer dans le mémorial, dans l’acte liturgique qui actualise le mystère du Christ mort et ressuscité. Mais, l’eucharistie, comme la veillée pascale, va associer l’actualisation du mystère du Christ Sauveur avec l’actualisation du mystère de l’homme sauvé.

    Le mémorial du salut est aussi le mémorial du baptême qui sauve.
    Les signes déploient sous nos yeux ce rapport entre baptême et eucharistie : l’autel où le prêtre préside est habillé d’une nappe blanche comme le baptisé est revêtu du vêtement blanc et il porte les cierges allumés, l’usage est d’ailleurs de mettre plusieurs cierges parce qu’un seul baptisé ne fait pas l’Église et l’eucharistie est un acte communautaire.

    Le nouveau baptisé communie, il participe intimement au mystère du Christ qui donne sa vie et rassemble son peuple. Il découvre que le Christ l’associe à sa propre mission : communiant au Corps du Christ, il est donné au monde pour être lui-même Pain de Vie, pour nourrir en l’humanité une vie plus fraternelle.

    Plus exactement, avec les sœurs et frères, en Église, il devient le Corps du Christ. L’enjeu de la mystagogie se révèle alors comme dépassant une simple intégration dans un groupe, et devient celui de l’incorporation à l’Église Corps du Christ. C’est pourquoi le rituel propose dans le temps pascal des messes de néophytes, où avec la communauté et les parrains ou marraines, ils rendent grâce au Christ ressuscité.

    La mise en œuvre d’une mystagogie pour aujourd’hui passera par une revalorisation du temps pascal et par des propositions pastorales qui le feront vivre.