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  • Méditations de Claude Geffré

    Le sens de toute prédication vivante

    De Claude Geffré. « La révélation hier et aujourd’hui. De l’écriture à la prédication ou les actualisations de la Parole de Dieu »

    GEFFRE - Le sens de toute prédication vivante

    Révélation de Dieu et langage des hommes.
    Paris : Cerf, Cogitatio Fidei n°63, 1972 ; pp. 120s

    Nous avons essayé de parcourir le chemin qui va de l’Écriture à la prédication dans l’actualisation du sens de la révélation pour notre temps. Je voudrais, en terminant, rappeler qu’elle doit être l’exigence fondamentale d’une prédication vivante.

    Je dirais que la prédication doit être à la fois biblique et contemporaine, c’est-à-dire, qu’elle doit articuler une herméneutique de l’Écriture et une herméneutique de l’existence humaine.

    Et, à cet égard, nous devons réfléchir sur la continuité entre l’univers symbolique de la Bible et la poétique spontanée de l’homme contemporain. Il est permis en effet de contester la thèse a priori de Bultmann selon laquelle l’homme moderne (à cause de la révolution scientifique) serait devenu culturellement imperméable aux grands mythes et aux grands symboles de la Bible. La symbolique biblique fait appel à une symbolique qui est constante dans l’humanité. Sans doute, la Bible ne laisse approcher son sens intime que de ceux qui la lisent avec foi. Mais elle n’est pas pour autant un livre scellé. Elle offre une frange de sens accessible à tous à condition d’accepter les lois de l’expression symbolique. Comme l’écrivait Ricœur, « le révéler comme tel, c’est une ouverture d’existence, une possibilité d’existence ».

    (...) Il faut donc restaurer le langage symbolique, celui qui éveille des possibilités dans l’homme. C’est un langage surdéterminé du point de vue de son sens, un langage qui dit plus que ce qu’il dit, un langage qui a prise sur moi parce qu’il y éveille des possibilités d’existence inconnues.

    La prédication ne doit pas se contenter de répéter le langage de l’Écriture. Elle doit être contemporaine : et elle ne peut l’être qu’en se donnant un langage signifiant qui se fonde sur une herméneutique de l’existence humaine. Elle trouvera alors une expression culturelle adaptée.


    Sur la vie éternelle

    de Claude GEFFRE. « L’énigme de la mort humaine ».
    Alain HOUZIAUX (dir). Y a-t-il quelque chose après la mort ? Paris : Ed. de l’atelier, 2004 ; p. 60 s

    Sur la vie éternelle

    La foi dans une vie éternelle après la mort est donc un article essentiel du credo chrétien. Dieu n’a pas abandonné Jésus à la mort. En lui, il a vaincu à la fois la mort physique et la mort spirituelle, c’est-à-dire la séparation avec Dieu. Il est le Dieu des vivants et des morts. Nous ne pouvons pas prétendre savoir dans quelles dispositions Jésus a vécu l’instant de sa mort. Mais, d’après de nombreux indices, il semble bien qu’il ait connu l’angoisse, la solitude et la tristesse qui accompagnent la mort humaine. Il n’a connu ni la belle mort du juste de l’Ancien Testament, ni la mort paisible de Socrate. Lui qui était sans péché, il a assumé la mort du pécheur et s’il a demandé à son père d’écarter « cette coupe », c’est qu’il a pu connaître la tentation de vivre sa mort comme un échec de sa mission prophétique. Son cri, « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » pourrait être interprété comme un cri de désespoir, mais en fait, comme le suggère la référence au psaume 22 dans les Evangiles de Matthieu et de Luc, c’est un abandon à Dieu, la source de la vie. Ainsi, dans la mort de Jésus, la mort humaine devient accès à la vie. Et de fait, Dieu reste fidèle en ressuscitant Jésus pour une vie nouvelle.

    (…) Si on veut comprendre l’originalité de l’espérance chrétienne, il faut bien voir que la mort ne débouche pas sur une immortalité quasi-naturelle mais sur le don gratuit de l’éternité. Même si nous continuons à parler du ciel, nous savons bien qu’il ne s’agit pas d’un lieu au-delà de la sphère terrestre. Il s’agit plutôt d’un état ou d’une manière d’être. Et si on tient à parler encore d’un lieu, alors c’est le mystère même de Dieu qui est notre « lieu ». Selon la belle formule de Saint Augustin, « après la vie, c’est Dieu lui-même qui sera notre lieu » (« Ipse Deus post hanc vitam sit locus noster »).


    « Plus on donne et plus on reçoit »

    de Claude GEFFRE. Passion de l’homme. Passion de Dieu. Paris : Cerf, 2015 (1991) ; p. 148 s

    Plus on donne et plus on reçoit

    « Celui qui a,recevra encore et il sera dans l’abondance »
    Mt 25, 29

    Si j’interprète bien la parabole [des talents], elle ne fait pas l’apologie des plus doués ou des plus habiles à s’enrichir. Mais elle célèbre les bons serviteurs qui croient en leur vocation et qui sont prêts à prendre des risques pour mettre leur talent, si minime soit-il, au service de tous. Ils ne calculent pas : au lieu d’enfouir leur talent comme des avares, ils s’exposent au risque de le perdre plutôt que de ne pas le faire fructifier.

    «  Celui qui a, recevra encore et il sera dans l’abondance » (Mt 25, 29). Cette phrase mystérieuse prend un sens si on la comprend comme une célébration de la vie et de l’amour qui ne dit jamais assez. Si nous avons la vie, ce n’est pas pour la garder jalousement : c’est pour la donner au risque de se perdre. Et paradoxalement, plus on donne et plus on reçoit. On vit alors en abondance au lieu de vivre chichement.

    Le serviteur bon et fidèle qui entre dans la joie de son maître, c’est donc celui qui a triomphé de la peur. Et en faisant confiance aux dons qu’il a reçus, il donne déjà un visage au maître qui reviendra de voyage. Ce n’est pas le visage d’un Dieu impitoyable qui est comme jaloux des talents de ses serviteurs. C’est un Dieu magnanime qui trouve sa joie dans la réussite de ses créatures.


    « Entre dans la joie de ton Seigneur ! » (Mt 25, 21)

    de Claude GEFFRE. Passion de l’homme. Passion de Dieu. Paris : Cerf, 2015 (1991) ;
    pages 97 et 101

    « Entre dans la joie de ton Seigneur ! » (Mt 25, 21)

    De même que le mouvement traduit la vie du corps, la joie chante la vie de l’âme. Aussi l’économie de la joie suit tel le mouvement de l’âme en quête de Dieu, mouvement rythmé par la foi, l’espérance et la charité :

    Joie de la charité, parce que le Christ est la vie,
    Joie de la foi, parce que le Christ est la vérité,
    Joie de l’espérance, parce que le Christ est la route.
    Ego sum via, veritas et vita (Jn 14, 6)

    En définitive, notre joie, c’est celle de Dieu lui-même. Mais en ce monde, nous sommes en route… C’est pourquoi, si nous sommes toujours des quêteurs de joie, il y a place pour la tristesse.

    (...) Toutes les tristesses ne sont pas mauvaises. Il y a la bonne tristesse d’une âme qui a goûté une fois à la vraie joie et qu’on voudrait faire chanter avec des ersatz de joie. Ce ne sont pas tellement les fausses joies du monde qui nous rendent tristes. Ce qui déchire secrètement quelque chose en nous, c’est tout ce qui sous prétexte d’épanouissement, d’optimisme, ou même de beauté, voudrait nous donner une joie chrétienne au rabais. La joie qui ne s’achète pas au prix austère de la vérité n’est pas la joie du Christ. C’est au prix de la croix que le Christ nous a délivrés du péché et de l’erreur. Nous ne voulons plus connaître qu’une seule note : elle suffit. C’est la joie très pure de Jésus.

    Il faut donc garder notre sensibilité à ce qui sonne faux. Nous ne pouvons pas dire « Amen » à tout. Ce n’est pas être un esprit chagrin que de dire non à des plaisirs moindres que la joie… C’est pourquoi nous sommes responsables les uns pour les autres de la qualité de notre joie. (...) Notre vie, c’est une quête de joie, parce que c’est toujours une quête de Dieu. Vous connaissez la Loi du Royaume de Dieu : plus on boit à la source de la vraie joie, plus on a soif. La joie de la route, c’est l’élan même de l’espérance : ce n’est pas encore la plénitude du repos. La joie de la charité et de la foi est déjà un fruit. La joie de l’espérance est plutôt une fleur, c’est-à-dire une promesse d’un fruit meilleur : cette joie de Dieu qui comme la paix « passe tous sentiments ».


    Jésus, le Dieu solidaire et libérateur

    de Claude GEFFRE, théologien, né à Niort. Passion de l’homme. Passion de Dieu. Paris : Cerf, 2015 (1991) ; p. 174s

    Jésus, le Dieu solidaire et libérateur

    En cette fin du XXe siècle où tant d’hommes ont perdu leurs certitudes, j’aimerais pouvoir annoncer le Dieu de Jésus comme l’« anti-destin », pour reprendre un mot de MALRAUX. Il est vrai que nos vies quotidiennes sont toujours sous le signe du hasard et de la nécessité, à commencer par celle de la mort.

    Il est vrai que, plus encore qu’à d’autres époques, l’histoire humaine est sous le signe de l’absurde et de la violence. Mais désormais, il y a une issue : l’avent d’un Dieu libérateur qui ne cesse d’advenir dans nos vies et dans l’histoire.

    Dieu est alors synonyme de grâce et de liberté. Il est celui qui défataliste l’histoire, mon histoire personnelle comme la grande histoire.

    Mais le Dieu de Jésus n’est pas seulement le Dieu qui vient, le Dieu anti–destin. Il est aussi le Dieu-avec-nous, le Dieu solidaire, et cela, parce qu’il est le Dieu crucifié.

    Ceux qui écrivent l’histoire sont toujours tentés de l’écrire du point de vue des vainqueurs, de ceux qui ont réussi. Il faudra aussi écrire l’histoire des vaincus, des oubliés, des sans-voix, des sans-grades. Or l’histoire de la question de Dieu est inséparable de l’histoire de la question des hommes.

    Le théologien J. MOLTMANN souligne l’enjeu historique de la question de Dieu quand il écrit : « La question de l’existence de Dieu en soi est une babiole en face de la question de sa justice dans le monde. »


    Jésus, libérateur des hommes

    de Claude Geffré. Passion de l’homme. Passion de Dieu. Paris : Cerf, 2015 (1991) ; p. 153s

    Jésus, libérateur des hommes

    Depuis vingt siècles le personnage de Jésus continue de fasciner les hommes. Qu’on le rejette ou qu’on l’adore, il ne laisse personne indifférent. (...) Deux traits surtout frappent nos contemporains quand ils scrutent le personnage humain de Jésus. Il est le chiffre de l’homme, et il est totalement libre par rapport à tous les pouvoirs.

    Le chiffre de l’homme ? Cela veut dire que Jésus n’est ni un moralisateur, ni un ascète, ni un thérapeute. Il inaugure une nouvelle manière d’être un homme et de vivre avec les autres. Ce qui est fascinant chez Jésus, c’est que son attitude, ses paroles, sont toujours imprévisibles, alors même qu’elles constituent une réponse étonnamment juste à la situation donnée.

    Jésus ne cesse d’annoncer le Royaume qui vient. Or la Bonne Nouvelle du Royaume, c’est un changement de la condition humaine. Désormais, les hommes peuvent agir, vivre, souffrir et mourir sans avoir le sentiment d’être condamnés à un destin absurde. Soit dans la détresse, soit dans l’expérience de la misère morale, l’homme sait qu’il est accepté par Dieu. La Bonne Nouvelle du Royaume, c’est la libération de l’homme, le passage de la mort à la vie, la possibilité de transformer le négatif de toute vie humaine en quelque chose de positif.

    La vie moderne est trop souvent sous le signe de l’avoir, de la consommation à
    outrance, de l’exacerbation des besoins et des désirs. Jésus nous enseigne qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir, et qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

    Les rapports humains sont trop souvent sous le signe de la rivalité, de la vengeance, de la violence réciproque. Jésus nous enseigne la loi du pardon. Il nous demande de répondre à la violence par la non-violence il va même jusqu’à nous demander d’aimer nos ennemis.
    En dépit de leur brillante apparence, nos sociétés d’abondance sont souvent rongées par le démon de l’ennui et de la morosité. Jésus nous apprend que le bonheur ne s’achète pas. Il dépend de notre liberté intérieure, notre sens du détachement : « là où est ton coeur, là est ton trésor… ».