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  • Lettre ouverte Aux femmes de la bible

    Ma chère Ruth,

    Je viens de relire ton histoire dans le livre qui porte ton nom. J’ai aussi parcouru le poème que Victor Hugo en a tiré : ‘Booz endormi’. Ce poème est très beau, mais il n’a pas la sobriété inégalable du récit biblique qui fait vivre simplement, sans grandiloquence, le monde rural où tu évolues, un monde que la plupart nos compatriotes ignorent, mais qui reste très proche pour les gens de ma génération. Dans mon enfance, sans avoir connu la moisson à la faucille, j’ai glané au bord des champs de blé, car il fallait que rien ne se perde…et c’était, pour nos parents, un moyen à notre portée de nous initier aux travaux de la ferme.

    La misère pousse à s’expatrier

    A ton époque déjà, des gens s’expatrient pour trouver du travail et font souche dans le pays d’accueil. Comme aujourd’hui, l’insertion n’est pas facile. C’est le cas de ton beau-père Elimélek, de ta belle-mère Noémi et de leurs deux fils Malhôn et Kilyôn. Ce sont sans doute des raisons économiques qui ont poussé ces gens de Bethléem à quitter leur pays pour gagner leur vie à l’étranger, au pays de Moab, probablement sans esprit de retour. Les garçons prennent femme dans le pays. Tu es l’une d’elles. Mais le malheur tombe sur vous : ton beau-père meurt ainsi que les deux garçons, sans laisser de descendance.

    Retour à Bethléem

    Sans aucune attache familiale dans le pays de Moab, Noémi se résout à rentrer à Bethléem. Quelle délicatesse de sa part ! Désintéressée, elle vous incite, ta belle-sœur et toi, à rester dans votre pays, à vous remarier et avoir des enfants ! Ta belle-sœur finit par retourner auprès des siens. Quoi de plus normal ! Le récit ne lui en fait pas reproche. C’est toi qui prends la décision ‘anormale’ : abandonner ton pays. Tu sais trouver les mots : « Où tu iras j’irai… ton peuple sera mon peuple, et ton dieu mon dieu… où tu mourras, je serai enterrée. »

    Votre retour ne passe pas inaperçu. Aux félicitations des femmes de la ville, ta belle-mère répond par une lamentation digne du livre de Job. Mais, au creux de sa misère, elle ne perd pas le nord. C’est une sage qui songe à ton avenir. Toi, tu veux te rendre utile et contribuer à votre survie. Comme c’est le temps de la moisson des orges, tu exprimes le désir d’aller glaner derrière les moissonneurs. Noémi se souvient qu’un de ses parents, Booz, a droit de rachat sur toi, c’est-à-dire qu’il a priorité pour t’épouser. Cette coutume nous paraît étrange mais, couplée avec la polygamie, elle permet aux jeunes veuves d’être prises en charge. Tu va en bénéficier et vivre un vrai conte de fées !

    Tu vas glaner chez Booz

    Le travail ne te fait pas peur. Avec l’approbation de Noémi, tu vas glaner derrière les moissonneurs. La chance te conduit justement dans le champ de Booz. Il demande qui tu es à ses ouvriers, qui ne tarissent pas d’éloges à ton égard. Booz lui-même vient te trouver, t’encourage dans ton travail et t’invite même à la table des moissonneurs. « En effet, dit-il, on m’a raconté ce que tu as fait pour ta belle-mère… Que le Seigneur Dieu d’Israël récompense pleinement ce que tu as fait, toi qui es venue te mettre sous sa protection. » Booz demande même à ses ouvriers de ‘tricher’ un peu, de laisser un peu plus d’épis devant toi. Et, effectivement, tu peux rapporter à la maison une très bonne récolte, que tu donnes à Noémi. Il en est ainsi jusqu’à la fin de la moisson.

    Tu vas un peu plus loin….

    Ta belle-mère, c’est une rusée qui sait mener sa barque ! Elle n’oublie pas, comme je l’ai dit à l’instant, que Booz est ‘racheteur’. Voyant qu’il t’est favorable, elle te conseille d’aller le trouver de nuit, sur l’aire où on bat la récolte. Quoi de plus agréable, pour Booz et ses ouvriers, que de dormir à la belle étoile, après un bon repas bien arrosé ? De toute façon, il faut bien rester sur place pour protéger la récolte des pillards. Après t’être fait une beauté, tu profites de la nuit pour te glisser près de Booz et te coucher à ses pieds sous la couverture, une manière de t’offrir à lui …. A cette époque de l’année, les nuits son fraîches. Booz se réveille, il te découvre et comprend tes intentions. Il veut bien ‘te racheter’, mais un homme de la famille a priorité sur lui. Il faut lui en parler avant toute décision. Tôt le matin, avant le lever du jour, tu rentres à la maison et tu racontes à Noémi tout ce qui s’est passé. Et maintenant, il ne reste plus qu’à attendre.

    Une affaire rondement menée

    Le jour même, Booz convoque une sorte de conseil de famille. La ‘racheteur’ prioritaire vient à passer. Alors le texte qui raconte ton histoire nous fait assister à un marchandage qui nous déroute un peu. Booz dit à l’homme que Noémi veut vendre une partie du bien qui lui vient de son mari. Dans un premier temps, le ‘racheteur’ se porte acquéreur. Mais, quand il apprend que tu fais partie du marché, qu’il devra t’épouser pour susciter une descendance au fils d’Elimélek, il se désiste pour ne pas nuire à son propre patrimoine. La route est dégagée pour Booz et pour toi. Il t’épouse et, de votre union naîtra un garçon, Oved, qui sera le père de Jessé, lui-même père de David.

    Ainsi, toi l’étrangère, tu t’es mise sous la protection du Dieu d’Israël et il t’a comblée de sa bénédiction ; tu as quitté ton pays, tes attaches familiales, et cette terre a été féconde pour toi ; tu as voulu faire partie d’un peuple nouveau pour toi et c’est le peuple qui t’a adoptée au point de faire de toi l’ancêtre du grand roi David. Et pour nous, les chrétiens, tu es comme notre grand-mère puisque, de la descendance de David, devait naître celui par qui la terre entière devient le lieu où habite le nouveau peuple de Dieu, comblé de sa bénédiction : Jésus le Christ, le Sauveur du monde.

    Merci, Ruth, la fidèle !


    Note pour une meilleure compréhension de la Bible

    Sans doute en utilisant une légende orale, l’auteur a composé une sorte de conte théologique. Les spécialistes pensent qu’il a été écrit après l’Exil à Babylone, à une époque où la vie est difficile pour le peuple d’Israël. Il met en valeur, à travers Ruth, le thème de la fidélité : la parole donnée à son époux, même mort, la lie à son peuple d’adoption et elle en tire les conséquences. Ruth est aussi présentée comme un modèle de piété : en adoptant le Dieu de son nouveau peuple elle se met sous sa protection. Mais l’universalité du salut est sans doute la principale leçon de ce récit : dans une période où on est tenté de se replier sur soi, l’auteur rappelle la vocation universelle du peuple de Dieu, en intégrant une étrangère dans la généalogie du plus grand de ses rois.

    Joseph CHESSERON

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