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  • Lettre ouverte à Joseph, époux de Marie.

    Il y a quelques années, j’avais écrit à ton homonyme, ce premier Joseph, avant-dernier fils de Jacob. La Bible, dans le livre de la Genèse, nous conte ses aventures extraordinaires en Egypte, un vrai roman, avions-nous dit à l’époque : homme providentiel qui va devenir le sauveur de ses frères qui, pourtant, avaient voulu se débarrasser de lui.

    Joseph, un homme « ordinaire »


    Avec toi, Joseph de Nazareth, rien de tel. Au risque d’avoir l’air de te mésestimer, moi qui ai l’honneur de porter ton nom, je dirais que tu parais un peu falot. Tu es cité seulement une dizaine de fois dans Matthieu et dans Luc, une fois dans Jean (6, 42), jamais dans Marc, et aucun des quatre évangiles ne cite une de tes paroles. Serais-tu donc sans importance ? Certes pas ! Au contraire : à la fin de cette lettre, à travers toi, je voudrais faire l’éloge des « gens sans importance ».

    Je voudrais aussi faire un sort à l’image que l’on a trop souvent de toi : un quasi vieillard. Au contraire, je te vois plus comme un homme jeune, d’une trentaine d’années, avec ta jeune épouse. Non, je ne te vois pas chauve, voûté, avec un lys à la main, mais plutôt avec un outil bien en main, dans ton atelier, avec le jeune Jésus à tes côtés, apprenant ton métier.

    L’annonciation à Joseph

    Pour commencer, je vais d’abord citer un texte où tu es, pour une fois, le personnage principal (Mt 1, 18-25) :

    « 18 Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. 19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement. 20 Il avait formé ce projet, et voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, 21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. « 22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous « . 24 A son réveil, Joseph fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25 mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus. »

    Le songe d’un homme de foi

    Dans la Bible, il est souvent question de songes, une manière de dire que Dieu se révèle ou révèle quelque chose d’important à quelqu’un, et à celui qui le lit. L’autre Joseph, celui dont on a parlé au début, a eu des songes qui lui ont joué de mauvais tours (Gn 37, 5) ; par la suite, sa capacité à expliquer les songes de Pharaon (Gn 41) l’a porté aux sommets du pouvoir. Ici, l’Ange du Seigneur, c’est-à-dire Dieu lui-même, te révèle de façon encore très floue qui va être cet enfant, celui qu’attend Marie, ton épouse.

    Et que te révèle donc ce songe ? Celui dont tout l’évangile de Matthieu va rapporter les paroles et les gestes, dès le départ, est celui que Dieu a choisi pour être sa présence au milieu de nous (Emmanuel : Dieu avec nous) ; il est le sauveur du peuple : il le portera d’ailleurs jusque dans son nom : Jésus = Dieu sauve.

    As-tu compris tout de suite ? Sans doute pas, puisqu’il ne se révélera que bien plus tard, durant sa vie publique, et à travers sa mort et sa résurrection. D’ailleurs, quand, à l’âge de 12 ans, il était resté seul au Temple, vous n’avez rien compris, ni toi ni Marie, à ses paroles étranges : « Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ? » (Lc 2, 51) .Comme tes lointains ancêtres, en particulier Abraham, ta démarche est une démarche de foi, comme dans la nuit. Cela ne devait pas être plus facile que pour nous : la foi, ce n’est pas évident, comme on dit aujourd’hui.

    Ta place dans le dessein de Dieu

    Quel est donc ton rôle ? Sans te faire offense, il n’est pas le premier. Ce n’est pas ton histoire qui est racontée. La preuve, c’est qu’on ne sait rien de ta mort. Tout ce qui est dit de toi l’est fait en pensant à Jésus.

    L’Ange du Seigneur te donne un titre : « Joseph, fils de David ». Tu es chargé d’assurer pour Jésus la promesse faite à David au 2ème livre de Samuel (7, 16) : « Devant toi, ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi. « Plusieurs fois dans le Nouveau Testament, des gens donneront ce titre à Jésus. Je n’en rappelle que deux : en Luc (18, 38.39), l’aveugle de Jéricho l’appelle ainsi, de même que les disciples à l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem (Mt 21, 9).

    Ton rôle est aussi d’être le chef de famille. C’est parce que tu es de la maison de David que tu vas te faire recenser à Bethléem, la ville de David. Après la visite des Mages et les menaces sur l’enfant venant d’Hérode, tu fuis en Egypte. Puis, pour ne pas tomber dans les griffes du descendant d’Hérode, tu vas mettre toute ta famille en lieu sûr, à Nazareth.

    Ton rôle enfin, c’est de donner une place à Jésus dans la société. Grâce à toi, il n’est pas l’homme de nulle part, différent des autres hommes. Il est et sera pour toujours « le charpentier de Nazareth ». Je connais un certain nombre de copains prêtres ouvriers qui te sont reconnaissants à cause de cela. A l’image de Jésus à Nazareth, ils partagent la vie des hommes dans les quartiers, les ateliers, les champs…Pendant quelques années, j’ai connu cette expérience, une des plus riches de ma vie. J’ai appris, grâce à toi, que le fait d’avoir des mains calleuses nous permettaient, avec encore plus de vérité, de célébrer l’Eucharistie en union avec la vie de tous les hommes.

    L’importance des « gens sans importance »

    Je t’écris à quelques jours de la fête de la Toussaint, la fête de ceux dont on n’a pas retenu le nom. Toi, on a retenu le tien, et même deux fois, le 19 mars et le 1er mai. Cependant, par ton aspect effacé, je te vois proche de tous ces gens anonymes qui forment le socle solide de notre humanité renouvelée en Christ. Pleinement humains, ils nous aident à ne pas désespérer de notre humanité. Remplis de l’Evangile, en particulier de cette humilité à laquelle Jésus nous invite, ils sont le miroir qui nous transmet la lumière du Christ. Je te vois bien au milieu d’eux.

    Merci, Joseph ! Je me sens tout proche de toi.

    Joseph CHESSERON

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