• Logo
  • Lettre ouverte à David (3)

    Mon cher David,

    Te voilà devenu roi sur tout Israël et Juda. Nous avons vu, à la fin de notre dernière lettre, avec quelle sagesse tu t’étais installé à Jérusalem, la ville de tout le monde. Tu as triomphé de tes ennemis ; il faut maintenant asseoir ton pouvoir.

    Tu fais entrer l’Arche d’Alliance dans ta ville

    Après une dernière guerre contre les Philistins (2 S 5, 17-25), tu décides de faire entrer l’Arche de Dieu dans Jérusalem (2 S 6, 1-23), manière de t’assurer la caution du Seigneur aux yeux de tout le peuple. Grande fête populaire, avec la participation de tous, y compris de toi : te voilà parti à danser et tournoyer devant l’arche ! Tout le monde est heureux. Une fausse note cependant : ta femme Mikal te voit danser et, dit le texte au v. 16, « elle te méprisa dans son cœur », parce que, en tournoyant, tu t’es dénudé devant tout le monde. Le soir, de retour à la maison, si je peux me permettre cette expression triviale, tu as droit à la soupe à la grimace. Mais pour toi, ce qui est important c’est d’honorer le Seigneur ; tant pis pour les grincheux, tant pis pour la famille de Saül : Mikal, sa fille, n’aura pas d’enfant jusqu’à sa mort. Une rupture de plus mais « en douceur » avec le roi déchu.

    Ta royauté à jamais affermie : la prophétie de Nathan

    Apparemment, tout est en place pour un règne sans problème. Tu aimerais bien construire un Temple pour l’Arche de Dieu, mais le prophète - courtisan Nathan, t’annonce de la part du Seigneur que ce sera ton fils qui s’en chargera (2 S 7, 1-17). Par la même occasion, il t’assure (v.16) que « ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi ». A l’époque, tu ne pouvais pas savoir l’importance qu’une telle promesse aurait pour nous, chrétiens : Fils de David, c’est le titre messianique par excellence, le titre que l’Evangile attribuera à Jésus. Ta réponse à Dieu (2 S 7, 18-29), celle qu’on te prête, est à lire et à relire : avec foi et humilité, tu célèbres la bonté de Dieu pour la maison d’Israël au long des siècles et, pour ta propre maison, tourné vers l’avenir, par ta prière tu exprimes à Dieu ta confiance et ton espérance.

    Une réalité un peu moins rose !

    Malheureusement, la suite de ton histoire apparaît bien moins glorieuse. Il ne te suffira pas d’avoir des ennuis avec la descendance de Saül. Les plus gros pépins vont venir de tes propres enfants … et de toi-même ! Par fidélité à ton ami Jonathan (2 S 9, 1-13), tu restitues à son fils Mefibosheth tous les biens de son grand-père Saül et tu l’honores en l’invitant chaque jour à ta table. Il ne t’en sera guère reconnaissant !

    Tu le sais bien par expérience, un roi c’est fait pour faire la guerre… ou pour la faire faire ! Passons sur ta première campagne contre les Ammonites (2 S 10, 1-19), qui, mine de rien, nous fait entrer dans la grande histoire. Ton petit royaume se situe pratiquement sur le lieu de passage obligé pour les grandes puissances du nord et du sud. Arrivons-en à la deuxième campagne, où tu vas toi-même te mettre dans une très mauvaise passe.

    Ta faute

    Tout le monde connaît cette histoire. Tes hommes sont partis à la guerre. Toi, tu es resté à la maison. A la fraîcheur du soir, du haut de ta terrasse, tu aperçois une jolie femme en train de se baigner ; c’est Bethsabée, la femme d’un de tes officiers mercenaires, Urie, le Hittite. Tu la fais venir, tu couches avec elle puis elle rentre chez elle. Catastrophe ! Elle te fait savoir qu’elle est enceinte. Tu as beau faire venir Urie, l’inviter à aller chez lui ; rien à faire, il reste à la porte de sa propre maison ! : en ce temps-là, pour dire les choses crûment, un soldat n’a pas le droit de faire l’amour quand il fait la guerre ! Il ne te reste qu’une solution : le faire tomber dans une embuscade pour t’en débarrasser. Ce qui est fait ; tu peux prendre Bethsabée chez toi.

    Ton repentir

    Seulement voilà ! Nathan le prophète ne se montre plus courtisan : il se dresse devant toi au nom de Dieu. Cette histoire, toi, tu la connais, l’histoire du riche, du pauvre et de sa petite brebis, que te raconte Nathan. Je me refuse de la résumer tellement j’ai peur de l’abîmer (2 S 12, 1-15). J’invite ceux qui le peuvent à aller la lire. Toujours est-il que tu prends conscience de ta faute. On t’attribuera à ce propos un des plus beaux psaumes, un des plus connus (le psaume 51, ou 50 suivant la classification). L’enfant conçu dans l’adultère meurt, mais Bethsabée te donnera un autre enfant appelé à un bel avenir, Salomon. Un enfant de plus, oserais-je dire !

    Tes ennuis familiaux et leurs conséquences politiques

    Le viol de Tamar

    Parlons-en, de tes enfants ! Autre temps, autres mœurs, disions-nous à propos de ton ancêtre Abraham : des nombreuses femmes que tu as prises au cours de tes pérégrinations, tu as eu de multiples enfants. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas entre eux l’entente cordiale. Par exemple l’aîné, Amnon (2 S [2ème livre de Samuel] 13, 1-22) s’amourache de sa demie sœur Tamar. Par ruse, il réussit à coucher avec elle, mais la rejette aussitôt. Tamar vient confier son malheur à son frère utérin Absalom, un beau jeune homme à la chevelure abondante, qui lui jouera un bien mauvais tour, mais un individu à la rancune tenace. Il va te causer les pires ennuis !

    La révolte d’Absalom

    Absalom attend son heure (2 S 13, 23-37). Sous un prétexte quelconque, deux années après, il invite tous ses frères à un banquet, y compris Amnon. Il s’arrange par le faire assassiner par ses hommes de main. Pendant un court instant, on te donne à croire que tous tes fils sont morts. Non ! seul Amnon a été tué, comme Absalom l’avait prévu depuis le viol de sa sœur. Lui-même a pris la fuite. Tu le sais, Absalom est un homme violent, mais patient. Au bout de trois ans, Joab, ton neveu, chef de l’armée, s’arrange pour obtenir de toi qu’il revienne à Jérusalem (2 S 14, 1-33), et il se réconcilie avec toi, du moins en apparence.

    En effet, dans le secret, c’est à toi qu’il veut s’en prendre, à toi qui n’as pas puni Amnon pour son méfait. Il se constitue une milice personnelle et lance officiellement la révolte contre toi (2 S 15, 1-12). Tu es obligé de fuir Jérusalem (toujours la fuite, comme à tes débuts !), mais, à regarder le texte de près (2 S 15, 13-37), on voit que tu organises ton retour, en laissant des amis fidèles dans la place pour espionner et donner de mauvais conseils.

    Dans une dernière lettre, nous évoquerons la mort de ton fils Absalom, ton chagrin et ta vieillesse un peu triste, qui, au fond, te rend plus proche de nous.

    A bientôt, douloureux David !

    Note pour une meilleure compréhension

    La Bible est d’abord l’histoire d’un peuple faits d’hommes et de femmes de la même pâte que nous. Certains sont « exemplaires », d’autres le sont moins… ou pas du tout. Même ceux qui sont présentés comme choisis par Dieu ne sont pas exempts de faiblesse et de péché. David en est l’exemple type. Dans l’aventure racontée plus haut (adultère et meurtre), sa conduite est lamentable, inexcusable. Mais ce que les auteurs de la Bible ont voulu montrer c’est que le pardon de Dieu est plus fort que le pire des péchés : David est « saint » dans la mesure où, reconnaissant sa faute, il se rend accessible à ce pardon. David est comme le miroir où le croyant peut se reconnaître : pécheur « atteint » par le pardon de Dieu.

    Joseph CHESSERON