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  • Lettre ouverte à David (2)

    Mon cher David,

    A la fin de ma dernière lettre, Je disais que ceux qui rapportent ton histoire veulent te présenter sous un jour très favorable, soulignant ta grandeur d’âme et ta fidélité au roi légitime qui, pourtant, te fait bien des misères.

    Ta grandeur d’âme à l’égard du roi Saül

    Si je peux me permettre cette expression triviale, ils en ajoutent encore une couche dans ce deuxième récit où tu épargnes Saül (1 S 26, 1-25) Le roi recommence à te poursuivre et vient camper près de l’endroit où tu te caches. Pour lui prouver ta fidélité, tu tentes une opération follement audacieuse. Accompagné de ton neveu Avishaï, tu pénètres dans le camp à la barbe du général Avner censé garder son maître. Tu t’approches du roi endormi. Avishaï veut le tuer. Tu l’en empêches : « Qui pourrait porter la main sur le messie du Seigneur et demeurer impuni ? » Tu te contentes de lui prendre sa lance et sa gourde. Tu sors du camp sans encombres protégé par « une torpeur venue du Seigneur » qui les tient tous endormis. Interpellant le général Avner, tu proclames haut et fort à la fois ton habileté et ta loyauté à l’égard d’un roi si injuste à ton égard. Oui vraiment, Quel roi magnifique tu feras !

    La fin de Saül

    Pour l’heure, tu es obligé de fuir à nouveau chez les Philistins (1 S 27, 1-12-). Tu lances des raids chez des populations « habitant le pays depuis toujours », mais tu fais croire aux Philistins que tu combats contre ton propre peuple. Ta violence et tes mensonges sont moralement indéfendables. Tu me fais vraiment penser à la parabole de Jésus : « Le gérant habile » (Lc 16, 1-8). Les auteurs qui racontent ton histoire, comme Jésus dans la parabole, n’approuvent pas tes actes immoraux, mais reconnaissent ton habileté à parvenir à tes fins.

    Le torchon brûle à nouveau entre Saül et les Philistins. (C’est ici que se situe l’histoire de la consultation de Saül auprès d’une magicienne et de sa dernière entrevue avec Samuel). Dans cette nouvelle guerre, ça ferait mauvais genre que tu te trouves aux côtés des ennemis ! (1 S 29, 1-11) Le roi philistin que tu as séduit est obligé de te renvoyer, malgré tes protestations de loyauté. Ainsi donc, quand Israël sera battu, Saül et Jonathan tués à la bataille de Guilboa(1 S 31, 1-13), on pourra dire que tu n’y es pour rien. Quelle mauvaise image aurait-on eu de toi si on t’avait vu combattre tes propres compatriotes ! Les auteurs qui ont collecté les récits et légendes te concernant ont voulu éviter de te présenter comme un traître, mais comme un homme fidèle, aussi habile et juste. C’est bien particulièrement vrai dans l’épisode qui suit(30, 1-31).

    Ton irrésistible ascension vers la royauté

    Les Amalécites, ennemis traditionnels, ont fait une razzia contre la ville où s’est réfugiée toute ta famille. Ils ont emmené tout le monde et incendié la ville, mais ils n’ont tué personne. Tu te mets à leur poursuite, mais une partie de ta troupe est empêchée de te suivre. Tu délivres tout le monde et, après avoir massacré les pillards, tu récupères ta famille et tout le butin pris chez les Philistins et en territoire de Juda. Malgré la protestation de ceux qui t’ont accompagné jusqu’au bout, ceux qui n’ont pas participé à la bataille ont leur part du butin et même les gens de Juda sont dédommagés. Comment mieux préparer ta reconnaissance par ces mêmes gens comme roi à Hébron ? (2 S [2ème livre de Samuel] 2, 4)

    Car c’est bien de cela qu’il s’agit : que tu deviennes, dans un premier temps aux yeux de tes compatriotes du sud, et ensuite aux yeux de tout Israël, le roi légitime. Pour cela, il faut te montrer prudent et loyal à l’égard de Saül vivant ou mort. C’est pourquoi, au moment où Saül et Jonathan viennent de se faire tuer à la bataille de Guilboa, tu fais montre d’une grandeur d’âme exemplaire, malgré tout ce que tu as eu à subir de la part du roi. Ta complainte sur Saül et Jonathan (2 S [2ème Livre de Samuel] 1, 17-27-) est un modèle du genre : tu invites la nature entière et les filles d’Israël à porter le deuil en l’honneur des héros, en particulier de Jonathan « que tu aimais tant ! ». Tu fais exécuter le jeune Amalécite qui s’était attribué la mort de Saül (2 S 1, 13-16-). Tu rallies à ta cause les gens d’un village qui ont donné une sépulture à Saül. En réalité, comme nous le verrons par la suite, tu traîneras un lourd contentieux avec la famille de Saül une grande partie de ta vie.

    Tu es reconnu comme roi au Nord comme au Sud

    Pour l’heure, te voilà reconnu comme roi à Hébron, au sud du pays (2 S 2, 1-4). Mais tu n’éviteras pas une guerre de succession : Le général Avner impose un fils de Saül, Ishbosheth, comme roi du nord, ce nord qu’on appellera Israël par opposition à Juda au sud. Malgré sa défaite à la bataille de Gabaon (2 S 2, 12-32), il réussit à instaurer pour un temps une sorte de statu quo. Mais ta montée en puissance est inexorable. Avner se fait traîtreusement assassiner (2 S 3, 6-39) alors qu’il négocie avec toi le ralliement du royaume du nord. Il faut lire dans le texte ces négociations de palais où tout se mêle : des histoires de femmes, des rivalités de clan, des vendettas… Même si tu récupères Mikal ta femme, la fille de Saül, tu n’arrives pas à éviter le meurtre d’Avner. Tu prends le deuil pour lui… pour qu’on ne te soupçonne pas d’en être l’instigateur de ce crime. Sait-on jamais ?

    Même chose pour le meurtre (encore un !) du roi du nord, Ishbosheth (2 S 4, 1-5, 3) : des vauriens, des traîtres à leur propre tribu (Benjamin, celle de Saül) viennent assassiner le pauvre homme à l’heure de la sieste. Fiers de leur coup, ils t’apportent sa tête ! Mal leur en prend, car, comme le jeune Amalécite à l’égard de Saül, tu les fais proprement exécuter, si j’ose dire. Te voilà dédouané de la mort de ton rival. Là aussi, sait-on jamais ? Les mauvaises langues… Résultat : les anciens d’Israël (ceux du nord) viennent te donner à Hébron l’onction royale sur tout Israël. Dans l’affaire, tu as tout gagné !

    Jérusalem, ta capitale

    Il te reste cependant à réaliser vraiment l’unité des deux parties du royaume. Bonne aubaine : entre les deux, il y a une ville qui n’appartient ni à l’une ni à l’autre, Jérusalem, la ville des Jébuséens (2 S 5, 6-12). Tu t’en empares et tu en fais ta capitale, reconnue par ton voisin le roi de Tyr. Par ses ouvriers, il t’aide à te construire un palais.

    Jérusalem ! Ville de la paix ! Dans ta grande sagesse, tu veux qu’elle n’appartienne à aucun clan, du sud comme du nord, ou plutôt tu souhaites que chacun s’y sente chez lui. Pourrais-tu inspirer aux descendants de ton peuple aujourd’hui une même sagesse : qu’ils s’y sentent chez eux, quoi de plus normal ? Mais les Palestiniens aussi, musulmans ou chrétiens, y sont chez eux, et les hommes du monde entier : Jérusalem, ville ouverte, la Ville pour le monde entier, la Ville pour la paix ! Jésus, « fils de David », comme on l’appelle dans l’Evangile, y a donné sa vie pour cette utopie. Qui a dit que l’utopie d’aujourd’hui, c’est la réalité de demain ? Va-t-il se trouver là-bas des justes amoureux de la paix pour réaliser « maintenant » cette utopie ?

    Toi, David, tu es un homme de guerre. C’est pourquoi, d’après le livre des Chroniques(1 Ch [1er Livre des Chroniques] 22, 8-9), Dieu ne veut pas que tu sois le bâtisseur de sa Demeure : ce sera la grande œuvre de ton fils Salomon dont le nom évoque la paix (shalom). Nous en parlerons dans la lettre qui lui sera adressée.

    A bientôt, roi David !

    Joseph CHESSERON