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  • Lettre ouverte à David (1)

    Bonjour, David !

    ‘David et Goliath’ ! qui n’a pas un jour entendu ces deux noms accolés, sans, peut-être, en connaître l’origine ? Toi et ton ennemi, vous êtes passés dans le langage courant pour signifier le combat, et souvent la victoire, du petit contre le grand.

    Dans la précédente lettre à Samuel, nous avons vu comment Dieu a rejeté Saül, et comment, presque incognito, Samuel t’a donné l’onction royale alors que tu n’étais qu’un gamin. Tu n’es pas près de devenir roi. Que d’obstacles devras-tu franchir avant de t’imposer !

    Ton combat contre Goliath

    Parlons d’abord de ce fameux combat (1 S [1er livre de Samuel] 17, 1-54)qui va te faire connaître au peuple. Tes frères sont à la guerre avec Saül contre les Philistins. Ton père t’envoie leur porter de la nourriture et demander de leurs nouvelles. C’est à ce moment que, des rangs de l’ennemi, surgit un géant (2,80m !), Goliath ; il propose de régler l’affaire par un combat individuel : le peuple du champion sera déclaré vainqueur. Panique dans le camp d’Israël : qui pourrait affronter une telle montagne de muscles bardée de fer et armée jusqu’aux dents ? Malgré tes frères qui veulent te renvoyer derrière ton troupeau, tu te proposes pour relever le défi. On te présente à Saül que tu rassures sur tes capacités. N’as-tu pas, dis-tu, vaincu le lion et même l’ours pour défendre ton troupeau ? « Ce Philistin incirconcis sera comme l’un d’entre eux, car il a défié les lignes du Dieu vivant ». Tu mets ta confiance dans le Seigneur, non dans l’armure dont Saül veut t’accoutrer. Cette confiance, tu la renouvelleras à la face du Philistin (v. 47)

    Avoue que tu es quand même gonflé de partir à l’assaut de ce « monument », armé seulement de ton bâton, de ta fronde et de cinq cailloux ! Mais quel contraste entre la lourdeur de ton ennemi et ton agilité ! Un caillou bien ajusté en plein front et voilà le combat terminé ! Il ne te reste plus qu’à trancher la tête du Philistin. Débandade d’un côté, triomphe de l’autre ; tu deviens célèbre et tu te lies d’amitié avec Jonathan, le propre fils du roi (1S 18, 1-5).

    La jalousie de Saül à ton égard

    Alors que s’ouvre devant toi un bel avenir, tout va se gâter : le roi Saül est vexé par ta popularité (1 S 18, 6-16) : il cherche même à te tuer en jetant sa lance contre toi, alors que tu es en train de jouer de la musique pour calmer l’esprit mauvais qui est en lui. Ton goût et ton talent pour la musique ont fait de toi le roi-musicien, auteur – compositeur – interprète, dirions-nous maintenant !

    Saül fait semblant de te promettre sa fille aînée en mariage(1 S 18, 17-30), mais c’est la cadette, Mikal, qui s’éprend de toi (tu auras bien plus tard quelques ennuis avec elle, que nous raconterons le temps venu !). En fait tout cela n’est qu’un piège qu’on te tend : connaissant ton courage, on te pousse à combattre les Philistins pour que tu sois tué à la guerre. Mais le Seigneur est toujours avec toi : tu t’en sors bien et tu deviens de plus en plus illustre.

    La jalousie de Saül ne désarme pas, malgré l’intervention de Jonathan (1 S 19, 1-7) auprès de son père, malgré la ruse de Mikal (1 S 19, 11-17) qui t’aide à t’enfuir, malgré l’intervention de Samuel chez lui à Rama (1 S, 19, 18-24). Tu t’es réfugié auprès de lui ; des émissaires de Saül, par trois fois, viennent te chercher, par trois fois entrent en transe. Saül lui-même, venu en personne pour t’arrêter, subit le même sort ( c’est d’ailleurs leur dernière entrevue, comme nous l’avions dit dans la précédente lettre à Samuel). Ne serait-ce pas, pour les auteurs qui ont repris cette vieille légende, une manière de dire que le Seigneur te protège et asseoir ainsi ta légitimité, malgré ta fuite ?

    Ta fuite devant Saül

    Fuite, voilà bien le mot qui va caractériser ta vie jusqu’à la mort de Saül … et même après ! . Au cours d’un repas (1 S 20, 1-21, 1), Jonathan cherche à te défendre auprès de son père et à tester ses intentions à ton égard. Toi, tu te caches dans la campagne. Suivant un code convenu entre vous, Jonathan t’indique qu’il faut fuir : Saül veut vraiment ta mort, mais entre ton ami et toi, c’est à la vie, à la mort, suivant ces paroles lourdes de conséquences pour la suite de ton histoire : « Va tranquille, dit Jonathan, puisque nous avons l’un et l’autre prêté ce serment au nom du Seigneur : que le Seigneur soit entre toi et moi, entre ta descendance et ma descendance à jamais. »

    Te prends donc la fuite. Tu demandes le gîte et le couvert aux prêtres de Nov, qui n’ont à t’offrir que des pains consacrés. Tu leur assures que tes hommes n’ont contracté aucune impureté rituelle et ils s’en nourrissent - Jésus utilisera cet épisode dans sa controverse sur le sabbat avec les Pharisiens (Mt 12, 3-4) -. Mais ta présence chez les prêtres est signalée à Saül qui, plus tard, les fera massacrer (1 S 22, 6-23). Tu n’as d’autre ressource que de te réfugier chez l’ennemi philistin (1 S 21, 11-22,5), mais, comme ils se méfient de toi, tu simules la folie, puis tu deviens chef de bande au pays de Moab au-delà du Jourdain.

    Décidément, dans cette fuite sans fin, rien ne te sera épargné (1 S 23, 1-18). Tu viens de battre les Philistins en train d’assiéger une ville où tu trouves refuge auprès des habitants. Mais ceux-ci, sans aucune reconnaissance, s’apprêtent à te livrer à Saül. Tu dois donc à nouveau t’enfuir et te réfugier dans le désert de Zif, au sud-est d’Hébron.

    C’est peu après que se situe un curieux épisode (1 S 24, 1-23). Le roi continue de te poursuivre. Avec tes hommes, tu es caché dans le fond d’une caverne. Saül se retire dans cette même caverne pour satisfaire un besoin naturel (« se couvrir les pieds » comme dit pudiquement la Bible). Belle occasion pour tes hommes d’éliminer ton ennemi ! Toi, tu refuses de porter la main contre le « messie » du Seigneur ; tu te contentes de couper un pan du manteau du roi avec ton épée et tu le laisses partir, puis quand il est loin, tu l’interpelles pour te justifier à ses yeux. Saül renonce pour un temps à te poursuivre.

    Tu deviens chef de bande

    C’est toi, dans toutes ces histoires qui as le beau rôle ; c’est du moins ainsi que te présentent les auteurs. Dans l’épisode suivant (1 S 25, 2-42), ils ont un peu plus de mal. Comment le qualifier, sinon de « racket » ? Il faut bien vivre, toi et tes hommes. Moyennant quelques compensations, tu veux accorder ta « protection » aux bergers d’un gros propriétaire de moutons, nommé Naval. Mais ce vieux grincheux ne se laisse pas faire. Tu décides de lancer une expédition punitive contre lui. C’est alors qu’intervient Avigaïl, la femme de Naval. Elle te fait un beau discours sur la modération que doit montrer celui qui est appelé à un si grand destin : le futur chef d’Israël ne doit pas verser le sang à la légère. Tu renonces à ton projet, mais quand Avigaïl révèle à Naval ce qui s’est tramé contre lui, il tombe paralysé et meurt quelques jours après. Avigaïl, sans regrets ni remords, vient te rejoindre et tu la prends pour femme. Tu gagnes sur tous les tableaux : ton entreprise réussit, ton ennemi meurt de mort naturelle, sa femme te rejoint et ton image de bon chef (de bon futur chef d’Israël) reste intacte ! Les chroniqueurs de ton histoire sont vraiment d’habiles écrivains !

    Si tu le veux bien, nous nous retrouverons dans une prochaine lettre où, de nouveau tu fera preuve de grandeur d’âme et de fidélité à l’égard de celui qui reste à tes yeux le roi légitime celui qui a reçu l’onction. Une telle attitude t’attirera les faveurs de tout le peuple. Est-ce le but que tu recherches ?

    A bientôt, rusé David !

    Note pour une meilleure compréhension

    Faut-il dire à nouveau que les auteurs de la Bible n’ont pas les mêmes préoccupations que les historiens modernes ? Leur but n’est pas de faire un reportage filmé et enregistré. A travers des traditions venues du fond des âges, ils veulent délivrer un message venant de Dieu. En l’occurrence, ils se servent d’un personnage somme toute peu reluisant (traître à son peuple, chef de bande, pillard, violent) mais qui réussira à s’imposer comme chef, non seulement de sa tribu (Juda) mais de tout Israël. Or, c’est de ce personnage que Dieu se sert, dans des mots, des récits et des discours humains, pour dire quel type de relations il veut entretenir avec les hommes (sa présence à travers des hommes ordinaires, voire médiocres), quel modèle de pouvoir doivent exercer les responsables (voir le discours d’Avigaïl à David [1 S 25, 24-31] ). Dans ce monde violent (celui du passé et celui du présent), par-delà les rivalités de clans et de nations, l’amitié peut luire comme un soleil (David et Jonathan), et reverser des murs apparemment infranchissables.

    Joseph CHESSERON