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  • Le bâton de Moïse

    (Les textes de la Bible sont pris dans la traduction liturgique)
    Les deux adversaires du grand combat de l’Exode, Moïse, le bras du Seigneur, et Pharaon, le maître de l’Egypte, sont gé­néralement représentés avec un bâton ou un sceptre, forme plus « noble » du bâton. Le texte bi­blique parle du bâton de Moïse, mais les hiéroglyphes nous montrent le bâton de pha­raon, sous différentes formes. C’est le même mot qui est utilisé dans la Bible hébraïque (MaTè) pour désigner une branche, un bâton, un sceptre. Pourquoi cet attribut, apparemment sans impor­tance, voire d’une grande banalité ? Les représentations de Moïse le montrent toujours tenant à la main un bâton. Il n’est pas le seul à en utiliser un, à son époque. C’est un « outil » nécessaire.

    Le bâton est un instrument fort utile. Il permet :

    - de s’appuyer pour marcher, pour déblayer le chemin devant soi. Nous ne sommes pas sur chemins pavés comme les voies romaines, encore moins sur nos routes goudronnées. Il s’agit de che­mins de terre où poussent les ronces et prolifèrent les nuisibles et les serpents ;

    - de marquer la distance, d’éloigner animaux ou humains. Il permet de se défendre des agresseurs (voir l’escrime au bâton).
    Ex. 12, 11. « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. »

    - de mesurer. le bâton a une utilité technique, car il permet. Il est marque de savoir. À l’origine, les prêtres égyptiens avaient aussi pour mission de mesurer les parcelles de terre attribuées à cha­cun, après chaque crue fer­tilisante du Nil, qui avait effacé les limites de propriété. Pour ce faire, ils pro­cédaient avec un bâton « mesureur ». Et, ainsi, ils possédaient un savoir que les autres n’avaient pas. De la sorte le bâton désigne ce­lui qui sait, manifeste l’autorité du maître.

    - de constituer un repère de ralliement. C’est le bâton du berger des brebis, ou des hommes.

    La puissance de Moïse, n’est pas celle de l’homme Moïse. Son bâton est plus qu’un simple « instru­ment ».

    Tout le chapitre 3 du livre de l’Exode est un dialogue entre le Seigneur et Moïse, qui tente de fuir la mission qui lui est confiée. Nous rencontrons, à la suite de Ex. 4, 1-7, un dialogue succulent entre Moïse et le Seigneur. Pour l’un, il s’agit d’un simple bâton, comme tout un chacun en possède, pour l’Autre, c’est la manifestation d’un pouvoir, qui peut être terrifiant, quand on le manipule. De ce dialogue ressort la puissance du Seigneur qui réalise ce qu’il dit mais de manière implicite. Il ne s’agit pas de fétichisme. Un geste simple de l’homme devient occasion de signe pour le Seigneur . « Rien n’est impossible à Dieu ! »

    (Je présente le texte sous la forme du dialogue qu’il est en vérité).
    - Moïse reprit la parole et dit : « Mais voilà ! Ils ne me croiront pas ; ils n’écouteront pas ma voix. Ils diront : Le Seigneur ne t’est pas apparu ! »
    - Le Seigneur dit : « Que tiens-tu en main ? »
    - Moïse répondit : « Un bâton. »
    - Le Seigneur dit : « Jette-le à terre. » Moïse le jeta à terre : le bâton devint un serpent, et Moïse s’enfuit devant lui.
    - Le Seigneur dit à Moïse : « Étends la main et prends-le par la queue. » Il étendit la main et le saisit : dans sa main, le serpent redevint un bâton.
    - Dieu reprit : « Ainsi croiront-ils que le Seigneur t’est apparu, le Dieu de leurs pères, Dieu d’Abra­ham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. »

    Ex, 4, 17. Quant à ce bâton, prends-le en main ! C’est par lui que tu accompliras les signes. »
    Ex. 4, 20. Moïse prit sa femme et ses fils, les installa sur l’âne et retourna au pays d’Égypte. Il avait pris en main le bâton de Dieu.
    L’objet n’a pas de valeur en soi, ne possède pas de pouvoir, mais il est signe de la « délégation de pouvoir », accordée par le Seigneur à Moïse. Ce pouvoir n’appartient pas, en propre, au prophète. Son frère Aaron peut aussi en avoir délégation.
    Ex 7, 8- 13. Le Seigneur dit à Moïse et Aaron : « Si Pharaon vous demande d’accomplir un pro­dige, tu diras alors à Aaron : Prends ton bâton, jette-le devant Pharaon, et qu’il devienne un ser­pent. » Moïse et Aaron allèrent trouver Pharaon et firent comme l’avait ordonné le Seigneur. Aaron jeta son bâton devant Pharaon et ses serviteurs, et le bâton devint un serpent. Pharaon, à son tour, convoqua les sages et les enchanteurs. Les magiciens d’Égypte en firent autant avec leurs sortilèges. Chacun jeta son bâton qui devint un serpent, mais le bâton d’Aaron englou­tit leurs bâtons. Cepen­dant, Pharaon s’obstina ; il n’écouta pas Moïse et Aaron, ainsi que l’avait annoncé le Seigneur.
    Les magiciens de Pharaon ont une certain pouvoir pour les deux premières manifestations de puis­sance, mais ils ne peuvent aller au-delà.
    Les fléaux envoyés par YHWH
    Le sang dans le Nil.
    Ex. 7, 19-23. Le Seigneur dit à Moïse : « Va dire à Aaron : Prends ton bâton, étends la main sur les eaux d’Égypte – Qu’il y ait du sang dans tout le pays d’Égypte, jusque dans les réci­pients de bois et de pierre. » Moïse et Aaron firent comme le Seigneur l’avait ordonné. Aaron leva son bâ­ton et frappa les eaux du Nil sous les yeux de Pharaon et de ses serviteurs, et toutes les eaux du Nil se changèrent en sang.
    Les grenouilles.
    8, 1-3 Le Seigneur dit à Moïse : « Va dire à Aaron : Étends la main avec ton bâton sur les ri­vières, les canaux, les étangs, et fais grimper les grenouilles sur le pays d’Égypte. » Aaron éten­dit la main sur les eaux d’Égypte ; les grenouilles grimpèrent et couvrirent le pays d’Égypte.
    Les moustiques.
    8, 12-15. Le Seigneur dit à Moïse : « Va dire à Aaron : Étends ton bâton et frappe la poussière du sol ; elle se changera en moustiques dans tout le pays d’Égypte. » Ils firent ainsi. Aaron éten­dit la main, il frappa de son bâton la poussière du sol, et les moustiques s’abattirent sur les gens et sur les bêtes ; toute la poussière du sol se changea en moustiques dans tout le pays d’Égypte.
    La grêle.
    9, 22-25. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends la main vers le ciel, et qu’il y ait de la grêle par­tout en Égypte, sur les hommes et sur les bêtes, et sur l’herbe des champs dans ce pays d’Égypte. » Moïse étendit son bâton vers le ciel, et le Seigneur déchaîna tonnerre et grêle. La foudre tomba sur terre, et le Seigneur fit pleuvoir la grêle sur le pays d’Égypte...
    Les sauterelles.
    10, 12-3. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends la main sur le pays d’Égypte pour que viennent les sauterelles » Moïse étendit son bâton sur le pays d’Égypte, et le Seigneur fit le­ver sur le pays un vent d’est qui souffla tout ce jour-là et toute la nuit. Au matin, le vent d’est avait amené les sau­terelles.
    Les ténèbres.
    Ex. 10, 21-23. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends la main vers le ciel. Qu’il y ait des ténèbres sur le pays d’Égypte, des ténèbres où l’on tâtonne. » Moïse étendit la main vers le ciel et, pen­dant trois jours, il y eut d’épaisses ténèbres sur tout le pays d’Égypte.

    Après le départ d’Egypte, le passage de la mer marque concrètement la libération d’Israël.
    Ex. 14. Le Seigneur dit à Moïse : « Pourquoi crier vers moi ? Ordonne aux fils d’Israël de se mettre en route ! Toi, lève ton bâton, étends le bras sur la mer, fends-la en deux, et que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec. ... Moïse éten­dit le bras sur la mer...Les fils d’Is­raël entrèrent au milieu de la mer à pied sec… le Seigneur dit à Moïse : « Étends le bras sur la mer : que les eaux re­viennent sur les Égyptiens, leurs chars et leurs guerriers ! » Moïse étendit le bras sur la mer. Au point du jour, la mer reprit sa place ; dans leur fuite, les Égyptiens s’y heurtèrent, et le Sei­gneur les pré­cipita au milieu de la mer. 30 Ce jour-là, le Seigneur sauva Is­raël de la main de l’Égypte... Israël vit avec quelle main puissante le Seigneur avait agi contre l’Égypte. Le peuple craignit le Seigneur, il mit sa foi dans le Seigneur et dans son serviteur Moïse.

    La main celle qui impose est celle qui bénit, qui donne, qui ordonne, a même puis­sance que le bâ­ton. Le « jeu de mains » (ou de bras) manifeste l’opposition des puissances :
    – la main de Pharaon : signe de l’esclavage d’Israël, en terre d’Égypte.
    – la main de Moïse : le « bras » de Moïse renvoie au Seigneur, manifestation visible de…
    – la main du Seigneur : puissance de libération.

    Après la fuite d’Egypte, la progression dans le désert remet en question la joie de la libération, hors de la « maison de servitude ». Après avoir été délivré de l’épreuve de l’esclavage, le peuple se trouve confronté à l’épreuve de la soif et de la famine, qui constituent des menaces de mort. Il se prend à regretter les « bienfaits » du temps d’Egypte. Il est tenté par le désespoir, et ses récrimina­tions se tournent contre Moïse et, au-delà, contre le Seigneur. Deux récits font mention du désespoir du peuple et de ses récriminations contre Moïse et contre le Seigneur. On récrimine contre le Sei­gneur parce qu’on attend, légitimement, beaucoup de Lui. Les psaumes, ou Job, en disent autant ! Se mêlent, dans ces récits, désespoir et confiance dans le Seigneur, puisque le peuple se tourne vers Lui, par l’intermédiaire de Moïse.
    Ex. 17,1. sqt. Toute la communauté des fils d’Israël partit du désert de Sine… Comme il n’y avait pas d’eau à boire, le peuple chercha querelle à Moïse : « Donne-nous de l’eau à boire ! »… Là, le peuple souffrit de la soif. Il récrimina contre Moïse et dit : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos trou­peaux ? »...Le Seigneur dit à Moïse : « Passe devant le peuple, emmène avec toi plusieurs des an­ciens d’Israël, prends en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil, et va ! Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frap­peras le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! »
    Nb. 20, sqt. Le Seigneur parla à Moïse. Il dit : « Prends ton bâton de chef et... rassemble la communauté... Pour eux tu feras jaillir l’eau du rocher, et tu feras boire la communauté et ses bêtes. » Comme il en avait reçu l’ordre, Moïse prit le bâton qui était placé devant le Sei­gneur... Moïse leva la main et, de son bâton, il frappa le rocher par deux fois : l’eau jaillit en abondance, et la commu­nauté put boire et abreuver ses bêtes.
    Cependant, dans ce récit qui reprend celui de l’Exode, Moïse et Aaron manifestent un doute sur le bon vouloir ou la puissance de Dieu. Est-il possible de faire jaillir de l’eau de ce qu’il y a de plus sec, un ro­cher ? Cela leur vaudra de ne pas entrer dans la terre promise !

    Ainsi, le bâton de Moïse n’est pas la « baguette magique » de l’illusionniste, qui « fait sem­blant », mais la preuve de la puissance divine déléguée au prophète, qui ne l’est pas simplement en paroles, mais aussi en actions. Est prophète celui qui parle au nom de Dieu mais aussi et surtout celui qui agit selon sa Volonté (Mt. 7, 21 ; 12, 50 ; Lc. 6, 46).
    Même, sans bâton, chacun de nous n’est-il pas appelé à être prophète ?

    Alain.