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  • L’amour : les mots qui le disent

    « C’est pour tout homme un devoir de faire grand cas de l’amour » (Platon)

    Déambulation

    Comme Aristote le dit de l’être, l’amour se dit pollakôs (de bien des manières). Je propose une déambulation d’un mot (concept) à l’autre, de ceux qu’offre la tradition philosophique et théologique, de la plus ancienne à la plus moderne. Bien sûr, lorsque nous préparons et célébrons un mariage, nous taisons ces mots ! Ils sont sous-jacents et constituent notre culture. Ils sont prêts à surgir si nous les appelons. Je soumets à votre sagacité, cet itinéraire à travers l’histoire des mots de l’amour. Bien sûr chaque mot mérite justification et donc développement. Des citations seules jalonnent le parcours, comme autant d’énigmes.

    Au commencement était l’eros platonicien
    « Il s’en suit que l’amour est pauvre par sa mère, partageant à jamais la vie de l’indigence, et expédient par son père, à l’affût de tout ce qui est beau et bon, car il est viril... chasseur hors ligne... employant à philosopher toute sa vie... » Platon

    Mais la philia aristotélicienne, (l’amitié) vint compléter l’eros
    « Il ne faut pas qu’il y ait entre nous seulement la charité, il faut qu’il y ai aussi la liberté de l’amitié. » Augustin

    Et survint l’agapè chrétienne
    « Mais en ceci Dieu prouve son amour pour nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » Rm 5:8

    La décisive voluntas (volonté) thomasienne
    « Croyez-moi, quelque amour qui semble vous charmer, on n’aime point, Seigneur, si l’on ne veut aimer. » Racine, Britannicus
    « Que c’est bon qu’il y ait toi. » Pieper
    Volo ut sis (Je veux que tu sois) Augustin

    Et la sexualité freudienne occupa toute la place et maintenant le gender (le genre).
    « Les premières inclinations amoureuses d’une jeunesse non corrompue prennent tout à fait une tournure spirituelle… » Goethe

    L’étonnante focalisation contemporaine sur le don
    « Pour qu’il y ait don, il faut que le don n’apparaisse même pas. » Derrida
    « Le don pour qu’il se donne doit se perdre et rester perdu sans retour. »
    « Si la vérité du don se tient dans le rendu, elle le ravale au rang d’un prêté. » Jean-Luc Marion

    Le classique admirabile commercium des Pères
    L’expression de l’ « admirable échange » que l’on trouve dès la première patristique pour rendre compte de la réciprocité entre Dieu et l’homme, venant de l’incarnation du Verbe, peut convenir à la réciprocité essentielle à l’amour humain.

    La très précieuse dévotio de François de Sales
    « Je ne demande pas l’exaltation, la ferveur me suffit. » Georges Braque

    Et, évidemment, le retour à l’Eros : l’analogum princeps

    En amour, le premier analogué, c’est l’eros qui surgit entre deux amants. Les autres noms tournent autour comme des constellations : philia, agapè, donum, sex, voluntas…Il faut lire la magistrale leçon du pape Benoît dans les chapitres 1 – 9 de Deus caritas est.
    « ...de l’amour intra-trinitaire aux formes les plus dégénérées de l’amour vénal, on ne peut renoncer à la référence à cet analogum princeps dans l’expérience humaine de l’amour qui est l’homme-femme. » Angelo Card. Scola
    « Le mot ultime qui lie Dieu et l’homme est en même temps le mot décisif entre l’homme et la femme : il s’agit d’aimer. » W. Grundmann

    Ouverture

    Chaque époque vit ses amours, les pense et en parle. Que de changements dans la nôtre !
    Notre tradition philosophique et théologique est d’une richesse telle qu’elle a la capacité de nous rappeler non pas ce qui ne bouge pas, mais ce qui est emmené toujours le même dans cette histoire changeante. Ce qui est emmené toujours le même, c’est eros, philia, agapè, sex, voluntas, donum… sachant qu’eros a la primauté d’honneur ! Il est bon de préserver le pollakôs pour que l’amour continue son œuvre d’éducation et d’enchantement.

    Père Jacques Béchoire
    curé de Melle