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  • Homélie du 4ème dimanche du Temps ordinaire « A »

    Matthieu s’adresse à une communauté de juifs convertis du christianisme, ils ont besoin de s’appuyer sur la révélation faite à Moïse. La Bible est dans leur ADN ! Tout au long de l’Évangile, il s’emploie à souligner que Jésus accomplit ce qui a été annoncé dans la première Loi : « pour ‘accomplir’ ce qu’annonçaient les prophètes »
    Matthieu situe le discours que nous venons d’entendre, sur une montagne, comme au Sinaï, où Dieu a fait don de sa Loi à son peuple par le ministère de Moïse. Ainsi, lorsque Jésus prend la parole, il apparaît comme le nouveau Moïse, médiateur entre Dieu et le peuple, faisant don des Paroles de la Nouvelle Alliance du Royaume nouveau !

    Les Béatitudes sont comme une hymne d’ouverture au discours sur la montagne (5-7). C’est le Portail du don de la Loi nouvelle, en résonance avec la première.

    Jésus décline neuf béatitudes qui proposent le programme pour être heureux, pour connaître le vrai et seul Bonheur. À vues humaines, ces béatitudes nous apparaissent de l’ordre de l’impossible, ne sont-elles pas en contradiction avec nos valeurs humaines ? Jésus, le Christ, est le seul à les avoir vécues toutes !

    La première béatitude résume les huit autres et pourrait se suffire à elle-même :
    « Heureux les pauvres de cœur(1) , le Royaume de Dieu est à eux ! »
    Comme nous le révèle le prophète Sophonie (1ère Lecture) : la tradition d’Israël annonçait que c’est un « petit reste », « un peuple pauvre et petit » qui accueillerait le Messie, on les appelle les « Anawim », (Les pauvres de Yawhé) terme hébraïque, dérivé de la racine « Ani », qui signifie à la fois le pauvre et le courbé. Le pauvre est celui qui a le cœur ouvert prêt à accueillir. Un cœur dilaté, en manque d’être comblé. Un mendiant, courbé sous le poids de l’indigence.
    On pourrait traduire cette première béatitude ainsi :
    « Heureux les cœurs mendiants d’amour ! »
    « Heureux le cœur capable d’aimer et d’être aimé ! »

    C’est l’inverse du cœur comblé, du cœur suffisant !
    Les huit autres béatitudes s’inscrivent dans le même dynamisme du manque et du désir. Le pauvre c’est celui dont la vie dépend des autres !
    2. Les larmes pleurent l’absence de l’être aimé.
    3. La douceur est l’attitude de celui qui est pauvre de violence… la douceur jaillit du cœur compatissant. La maman qui calme son enfant par des caresses…
    4. La faim et la soif de justice, c’est un cœur qui réclame son droit, sa dignité. C’est la béatitude du désir !
    5. Le cœur miséricordieux est pauvre de la relation de l’amitié perdue, il pardonne pour rétablir le lien rompu. C’est le sommet de l’amour.
    6. Le cœur pur, c’est le cœur qui n’est pas encombré. Qui n’est pas pollué ! C’est un cœur vraiment vide !
    7. L’artisan de paix est pauvre d’agressivité, de violence et de ressentiments pour établir un lien confiant dans la communauté humaine. C’est le climat du ciel (Puisque, sur terre, on ne trouve jamais la paix !).
    8 et 9. Le persécuté, comme l’insulté et la victime de médisances ou de calomnies, c’est celui dont les violences le vident de sa dignité, c’est celui qui manque du respect dû légitimement à tout homme.
    Ces béatitudes décrivent une pauvreté active : André Chouraqui (2) , dans sa Bible, traduit Macarios par « en marche ! »
    Le pauvre, selon l’Évangile, c’est celui qui s’enrichit en donnant et en se donnant. Autrement dit, c’est en se vidant qu’il est comblé, qu’il s’enrichit. Ses richesses, il les accumule pour le Royaume des cieux, comme on dépose ses valeurs dans une banque. Comme l’ouvrier qui travaille pour recevoir un salaire !
    Le programme des béatitudes, vécu ainsi, est le chemin du vrai bonheur, pour l’avenir de notre vie, il fait de nous, dès maintenant les heureux citoyens du Royaume à venir !
    Ce Royaume, c’est le Christ qui l’inaugure en sa Pâque, par sa mort sur une montagne, le Golgotha, avec, comme trône, la croix et, comme récompense, la Résurrection. Sur la croix le Christ a tout donné « il s’est anéanti lui-même » il a épousé la pauvreté radicale, son cœur s’est vidé de tout. Ainsi, le « Pauvre de cœur », c’est le Christ en sa Pâque.
    À sa suite, recherchons sans cesse ce vrai bonheur, en vivant l’Évangile au quotidien avec un cœur libre d’aimer… un cœur pauvre d’amour, en quête d’amour, mendiant d’amour :
    « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même ! »
    selon l’expression chère à sainte Thérèse de Lisieux.
    « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse
    car votre récompense est grande dans les cieux ! »

    ou, pour être davantage fidèle au texte grec, je préfère la traduction de sœur Jeanne-d’Arc :
    « Réjouissez-vous, exultez !
    Votre salaire est abondant dans les cieux ! »

    P. Jean-Luc VOILLOT


    (1)Littéralement : « les pauvres par l’esprit » ce qui en français risque d’être entendu « pauvre d’esprit » qui dans notre culture est compris « heureux l’idiot », « le simple d’esprit ! L’anthropologie hébraïque situe singulièrement l’intelligence au niveau du cœur et l’affectivité et l’émotion au niveau des entrailles.

    (2) André Chouraqui, qui connaît bien l’hébreux et l’araméen, s’est donné comme défi, de retrouver dans les Évangiles, dont nous ne possédons que la version grecque, la saveur de l’original hébraïque !
    Traduction de Sr Jeanne d’Arc – in : « Les Évangiles, Les quatre » nouvelle traduction de sœur Jeanne d’Arc, op. © Desclée de Brouwer, 1992 – Paris.