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  • Martyrs de septembre - 2022

    Etonnement : les massacres eurent lieu en 1792, la béatification en 1926.
    Etonnement qui révèle la diversité des rapports au temps.
    Situations bien différentes aujourd’hui : papes du XXe siècle ; Père Hamel de Rouen.
    Sans jugement de valeur, interroger notre rapport au temps ; nos difficultés à prendre le temps.
    Quand tout devient urgent…

    Raison plus profonde de cette distance dans le temps : le rapport des Français à la Révolution.
    Ne pas attiser les tensions.
    Ne pas utiliser les morts pour défendre tel choix ou tel autre.
    Attitude exemplaire des prêtres et religieux des pontons de Rochefort et de l’île Madame.

    Ne pas tomber dans les alternatives mortifères : eux et nous.
    Entretenir la guerre des « deux France ».

    La grande question : que choisir ? Doit-on choisir ?
    Rappelons d’abord qu’il ne s’agissait pas, pour les prêtres, de choisir entre un régime politique et un autre.
    Au moment de la Révolution, la papauté n’a rien dit quant au régime politique que se donnait la France.
    La foi chrétienne ne soutient pas plus la monarchie que la République.
    Ceci relève du choix de chaque pays et de sa population.
    Les prêtres, comme les fidèles, qui se sont trouvés dans cette période ont été affrontés à un choix complexe.
    Il ne s’agissait pas de choisir entre ses devoirs chrétiens et ses devoirs de citoyens : prêtres ou fidèles nous devons vivre cette double fidélité.

    En refusant la constitution civile du clergé, les prêtres non-jureurs n’ont pas voulu refuser leur citoyenneté de Français.
    Je lis ces paroles, que vous connaissez sans doute, du curé de Notre-Dame, Jean Goizet :
    « Autant je suis attaché à la Nation, à la Loi et au roi, autant je le suis à mon Dieu, à ma religion, à ma foi et à mon peuple ».

    Quelle aurait été notre attitude dans ce contexte ?
    Beaucoup de prêtres ont prêté serment.
    Ce serment n’était pas bien différent de ce qui existait préalablement : en France comme dans d’autres pays, le pouvoir politique, à l’époque le roi, avait plus de droit dans la nomination des évêques que le pape.
    Rappelons-nous le gallicanisme et les « quatre articles » de Bossuet.
    On peut citer le premier :
    « Le souverain pontife n’a qu’une autorité spirituelle ; les princes ne sont donc pas soumis à l’autorité de l’Église dans les choses temporelles ; le pape ne peut juger les rois ni les déposer ; les sujets du roi ne sauraient être déliés du serment d’obéissance. »
    La Révolution a transféré au peuple ce qui revenait au roi.

    Il faut se garder de penser que le choix, alors, était simple et s’imposait de soi.

    Au sortir de la Terreur, surtout avec l’Empire, il s’est agi de réconcilier la France, et aussi les catholiques.
    Napoléon s’est bien gardé de redonner au pape le pouvoir de nommer les évêques, il a conservé les prérogatives du roi, puis de la Révolution.
    Mais, il a fallu réconcilier les jureurs et les non-jureurs.
    Sinon, on entretient et une guerre religieuse et une guerre civile.
    D’autres périodes de l’histoire ont connu des situations analogues, pensons à la situation des « lapsi », dans les premiers siècles de notre ère, à l’époque des persécutions.

    Le choix a toujours été de la réconciliation.
    Cependant, ce choix ne peut conduire à taire les injustices, les violences.
    Elles furent abjectes, et pas assez punies, pour les auteurs des massacres de septembre.

    Au-delà des événements d’hier, la question principale est celle de la liberté, de toutes les libertés, dont la liberté religieuse.
    Ce n’est pas une question du passé… dans combien de pays…
    Ce n’est pas une question lointaine.

    Nous sortons d’une période qui a connu beaucoup de restrictions aux libertés publiques, dont la liberté religieuse.
    La pandémie de Covid a restreint nombre de libertés, dont des libertés religieuses…

    On ne peut envisager les unes sans les autres.
    On a estimé que ceci était légitime au regard de la gravité et des risques de cette pandémie.
    Vigilance : tentation de pérenniser ce qui ne peut être que temporaire.
    Les lois d’exception sont le plus souvent à éviter ; lorsqu’elles existent, elles doivent être limitées dans le temps.

    Pourtant… nous pouvons nous habituer à cela, même le rechercher.
    Si l’on nous parle d’un danger, même pas réel, seulement éventuel, nous pouvons accepter de perdre en liberté.
    Sous prétexte de sécurité, on a vu des acceptations faciles de restrictions de libertés.

    Vous savez que les Eglises chrétiennes de France, orthodoxe, protestante et catholique, ont intenté un recours devant le Conseil d’Etat au sujet de certains éléments de la Loi visant à affermir les principes de la République.
    Nous n’avons pas eu gain de cause.
    Mais nous demeurons circonspects.

    Soyons clairs : nous pouvons dire que des groupes islamistes sont dangereux, il est légitime de développer la vigilance.
    Mais, ceci peut-il conduire à regarder avec suspicion les religions, dont l’islam ?
    A développer des contrôles, dont celui des prédications, la mienne… au-delà de ce que prévoit la loi de 1905 ?
    Cette question ne relève pas d’abord du Gouvernement, mais de chacun de nous.
    Nous pouvons parfois un peu facilement accepter de perdre des libertés.

    Les martyrs que nous fêtons aujourd’hui appartiennent à une époque autre que la nôtre.
    Mais, ils ont été affrontés à des questions dont ne nous sommes pas très éloignés.

    Pascal Wintzer
    Évêque de Poitiers