# Dièse 55 d’avril 2023
Un courrier mensuel,
le 10 de chaque mois
André TALBOT
le 10 avril 2023
Dossier d’information : Éthique sociale en Église N° 55
En écho à l’actualité, quelques réflexions, pour préciser des enjeux de vie et cultiver l’espérance.
# DIÈSE : Un demi-ton au-dessus du bruit de fond médiatique.
En réponse à une légitime curiosité : pourquoi # DIÈSE ? Il s’agit simplement de l’acronyme du titre : Dossier d’Information Éthique Sociale en Église. Et on enclenche une petite musique…
1 – Au matin de Pâques, une invitation à ouvrir les yeux et le cœur.
Pape François, encyclique Laudato si’ : « Prêter attention à la beauté, et l’aimer, nous aide
à sortir du pragmatisme utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour
observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui
objet d’usage et d’abus sans scrupule. » § 215
« L’amour fraternel ne peut être que gratuit. (…) Cette même gratuité nous amène à aimer
et à accepter le vent, le soleil ou les nuages, bien qu’ils ne se soumettent pas à notre
contrôle. Voilà pourquoi nous pouvons parler d’une fraternité universelle. » § 228
Il ne s’agit point de mettre en concurrence le rapport à la nature et les relations entre
nous humains. Il s’agit plutôt de passer d’une attitude d’emprise et de domination, à une
relation responsable et pacifiée : prendre soin !
2 - Migrations, un livre : François HÉRAN, Immigration : le grand déni, Seuil, 2023.
* En août dernier, DIÈSE signalait que près d’1/3 des adultes vivant en France étaient
eux-mêmes immigrés, ou comptaient au moins un parent ou un grand parent immigré.
Ce chiffre avait provoqué des interrogations : était-il exagéré ? F. Héran confirme (p. 74)
le chiffre de 31%. Mais 5% seulement ont quatre grands parents immigrés, ce qui veut
dire que les unions « mixtes » sont largement majoritaires, dès la deuxième génération.
L’image d’îlots « ethniques » refermés sur eux-mêmes, dans une sorte de séparatisme, ne
correspond pas à la réalité.
* Le spectre d’un « grand remplacement » joue sur les peurs à l’égard de « l’autre », avec
des effets politiques inquiétants ; de tels propos alarmistes entretiennent un climat de
défiance et fracturent encore plus une société déjà bien émiettée.
En attendant, on semble prendre son parti de la tragédie des morts aux frontières : plus
de 50 000 dans le monde entre 2014 et 2022 (p. 139). F. Héran évoque aussi le projet de
loi envisagé, rappelant que depuis 1986 il y eut en moyenne une loi tous les 18 mois ! Au
risque de rajouter à chaque fois une pièce dans la machine à peurs…
* À l’échelle du monde, il y a une progression notable des migrations depuis 20 ans, mais
le plus grand nombre se déplace à l’intérieur de son propre pays, ou dans un pays
proche (ex. au Proche Orient, en Afrique). L’augmentation de l’arrivée de migrants en
France est plus faible que dans la plupart des pays occidentaux. Eh oui, on bouge de plus
en plus ; y compris des Français qui partent vivre à l’étranger (estimation : 2,5 millions).
Dans notre pays, le plus grand nombre de titres de séjours concerne des étudiants ; il
serait désolant de considérer l’accueil d’étudiants étrangers comme un malheur !
* Positivement, la société française a intégré en continu des populations venant
d’ailleurs. On sait bien que d’actuelles grandes figures politiques, médiatiques,
culturelles sont issues de l’immigration. Nous savons aussi que bien des tâches parmi les plus ingrates sont assurées par des personnes migrantes, certaines étant d’autant plus
fragiles qu’elles n’ont pas de papiers ! Venir d’ailleurs n’est ni un défaut, ni une qualité a
priori. Il reste un défi de part et d’autre : vouloir vivre ensemble.
Le journal La Croix du 31 mars a consacré un dossier aux rapports entre immigration et
paysage religieux.
3 – Concernant la guerre en Ukraine, un édito de Dominique QUINIO, Lettre de
Justice et Paix, mars 2023 (on peut le consulter sur le site de Justice et Paix France).
Elle note « le gâchis immense d’une année de guerre, malgré l’impressionnante résistance du
peuple ukrainien. (…) Nul à ce jour ne peut dire comment cette guerre finira. (…) Pour cette
Ukraine ‘martyrisée’, selon les mots du pape François, notre aide, militaire et économique,
indispensable, doit aussi préparer l’après-guerre et la construction de la paix. »
Deux remarques. La guerre est toujours abominable, cause d’immenses souffrances. On
ne peut la considérer comme une manière normale de régler les tensions entre nations
ou les injustices dans un pays. La capacité destructrice des armes actuelles, dont la
menace nucléaire, oblige à envisager des programmes ambitieux au service de la paix ;
on ne peut se satisfaire de l’actuelle course aux armements.
4 – Des libertés entravées en de nombreux pays, notamment la liberté religieuse.
On estime qu’un chrétien sur sept (des différentes confessions) ne peut exprimer et
pratiquer normalement sa foi sans mettre en danger sa sécurité. Il serait naïf de
considérer que, dans notre monde, les droits humains fondamentaux se trouvent
largement reconnus et promus ! Où en est l’éducation aux droits de l’homme ? On risque
toujours de s’y référer pour réclamer un avantage individuel, oubliant que revendiquer
des droits pour soi oblige à les promouvoir au profit des autres, quelle que soit leur
origine, leur statut, leur croyance. La liberté religieuse est l’un des marqueurs
significatifs du respect ou du déni de ces droits. À l’inverse d’une idée selon laquelle
toute religion serait forcément intolérante, il est bon de relire l’invitation au dialogue
dans les encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti de François.
5 – Les risques d’une société fragmentée, avec des images en continu de violences
physiques et des sons saturés de violences verbales… La qualité de la vie commune
dépend de chacun des citoyens. Notre mémoire officielle comprend la référence à la
fraternité : qu’en faisons-nous ? Nous disposons du langage qui permet d’exprimer
même nos divergences, c’est la chance d’une démocratie, mais avec des arguments de
raison et non avec des slogans qui cherchent à disqualifier et à humilier l’adversaire.
On est aussi en droit d’attendre une certaine exemplarité de la part de ceux qui ont en
charge la vie publique : on attend qu’ils évitent de se considérer comme dotés d’une
science infuse, au point de ne reconnaître que des erreurs de « pédagogie » (science de
l’éducation des enfants !). L’écoute des corps intermédiaires, l’attention aux populations
les plus fragiles font partie d’une saine vie démocratique. Quant aux citoyens, ils ont
aussi la responsabilité d’une vie commune solidaire, pacifiée, fraternelle. La réduction de
nos rapports entre citoyens au seul critère de la recherche par chacun de ses intérêts
individuels, voire de ses envies, apparaît lourde de violence.
6 – Chers lecteurs, une bonne surprise pourrait bien vous être annoncée dans les
jours à venir…
Rendez-vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE