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  • CAREME ! C’EST QUOI CE TRUC ? Le Padre Ducourneau nous explique...

    Par la messe de l’imposition des cendres, cette année le mercredi 14 février, l’Eglise entre en Carême. Parmi nous, il s’en trouve qui ne voient du Carême que l’aspect « privatif » de telle ou telle chose et d’autres qui ne jurent que par le partage, comme s’il fallait attendre ce temps pour la fraternité. D’autres connaissent le mot et devinent qu’il s’agit d’une période un peu particulière. Certains, totalement ignorants de la chose, s’amusent à qualifier le carême de « ramadan chrétien » (sic). D’autres encore, ceux qui découvrent ou redécouvrent leur foi, n’osent pas s’aventurer dans une définition. Enfin, certains, tout en se disant de tradition chrétienne, ne savent pas ou plus de quoi il s’agit, d’aucuns pensant même que c’est un « truc » du passé, donc dépassé ! De toutes les manières, qui que nous soyons, nous ne savons pas grand-chose. Face à la profondeur du sens que revêt cette période « étrange », trop longue pour certains mais bien courte pour d’autres, nous ne sommes que des « balbutiants » dans la foi et des « ignorants » de l’amour de Dieu qui devrait nous habiter d’abord pour comprendre ce à quoi le Carême nous appelle vraiment.

    Je ne prétends pas donner une définition claire et précise de ce temps d’Eglise qui nous sert à nous préparer au temps majestueux et essentiel de notre vie de foi qu’est la fête de Pâques, unique centre névralgique de notre vie de baptisés. Je vais simplement laisser la
    parole à ceux qui ont fait notre histoire de l’Eglise au travers des siècles passés, et qui par leurs mots, ont su donner le goût de Carême, car il faut le goûter pour l’aimer, à ceux qui ont cheminé avec eux – et par eux – jusqu’à la Croix salvatrice de notre Seigneur Rédempteur, le Christ Jésus, seul sujet de nos désirs spirituels dessinés par la prière et l’eucharistie.

    Le Carême est, prioritairement, un regard porté vers Dieu. Saint François de Sales (1567-1622) nous en dit plus : « dans la quête de notre perfection, ne nous empressons point en notre besogne, je vous prie ; car pour la bien faire il faut nous appliquer soigneusement, mais tranquillement et paisiblement, sans mettre notre confiance en elle, mais en Dieu et en
    sa grâce »
    .

    On dit que le Carême repose sur les trois piliers que sont le jeûne, la prière et le partage. C’est vrai, mais encore faut-il savoir ce qu’on entend par ces mots-là. Le jeûne, par exemple, n’est pas une simple « abstinence alimentaire » par laquelle on chercherait à acquérir la vertu de mortification. On ne jeûne pas pour soi, mais pour Dieu, et en particulier pour ce Dieu qui se fait pauvre parmi les pauvres. Le jeûne de Carême est lié au partage. Saint Grégoire le grand pape (de 590 à 604) nous met en garde : « que personne ne s’imagine qu’il nous suffise de cette abstinence alors que le Seigneur dit par la bouche du prophète : ‘le
    jeûne que je préfère ne consiste-t-il pas plutôt en ce que tu partages ton pain avec l’affamé, et reçoives chez toi les pauvres et les vagabonds ? Si tu vois quelqu’un de nu, habille-le, et ne méprise pas celui qui est ta propre chair’. Voilà le jeûne que Dieu approuve : un jeûne qui élève à ses yeux des mains remplies d’aumônes, un jeûne réalisé dans l’amour du prochain
    et imprégné de bonté. Prodigue à autrui ce que tu retires à toi-même ; ainsi la mortification même de ta chair viendra soulager la chair de ton prochain qui est dans le besoin…Et c’est pour soi qu’on jeûne, si l’on ne donne pas aux pauvres ce dont on s’est privé pour un temps, mais qu’on le garde pour l’offrir un peu plus tard à son ventre »
    .

    La prière, quant à elle, nous aide à voir la volonté de Dieu en nous. Il n’y a rien de méchant dans cette volonté mais au contraire, Dieu sait que c’est sa volonté qui rend libre la nôtre, la purifie, la sanctifie et lui donne du sens. Voilà pourquoi, le temps de carême est un temps où l’on retrouve la ferveur de la prière qui ne doit jamais quitter l’âme du croyant. Saint Cyprien
    de Carthage (mort en 258) explique comment notre Carême, en ce sens, peut être concret : « si nous voulons vivre éternellement, faisons la volonté de ce Dieu qui est éternel. Or la volonté de Dieu est celle que le Christ nous a manifestée en l’accomplissant : l’humilité dans notre conduite, la fermeté dans notre foi, le respect dans nos paroles, la justice dans nos actes, la charité dans nos œuvres, la sévérité dans nos mœurs. Dieu veut que nous ne fassions aucune injure au prochain, que nous supportions celles qui nous sont faites, que nous soyons en paix avec nos frères, que nous l’aimions de tout notre cœur. Il veut que nous ne préférions rien au Christ, qui n’a lui-même rien préféré à nous ; que nous soyons
    inséparablement unis à sa charité, fermement attachés à sa croix. Il veut, quand il s’agit de l’honneur et de la gloire du nom chrétien, qu’il y ait en nous cette constance qui confesse la vérité, cette fermeté qui soutient la lutte, cette patience qui, par la mort, mérite la couronne. C’est ainsi qu’on devient cohéritier de Jésus-Christ ; c’est ainsi qu’on exécute ses ordres et
    qu’on accomplit la volonté du Père »
    .

    Le Carême est aussi un retour vers Dieu dans l’humilité de la reconnaissance de notre faiblesse humaine. Même si, tout au long de l’année, nous sommes appelés à louer la grandeur de Dieu, ce temps privilégié de Carême qui nous conduira à lever les yeux sur Celui que l’on crucifie par nos fautes, nous introduit dans l’intimité de la miséricorde divine qui nous relève et nous reconstitue Homme à l’image et à la ressemblance de Dieu. Voilà pourquoi le Carême nous aide à poser un regard lucide sur nous. Ainsi, Saint Ephrem de Syrie (306-373) nous redit que Jésus est venu pour les pécheurs que nous sommes et que nous pouvons aller vers lui en toute confiance : « que personne ne dise dans son fol orgueil : ‘ je n’ai point péché !’ Parler ainsi, c’est être aveugle, c’est vouloir se tromper soi-même, c’est ne pas savoir comment le démon, comme un larron adroit, se glisse dans nos paroles, dans nos œuvres, entend par nos oreilles, voit par nos yeux, touche par nos mains et inspire nos pensées. Qui donc osera dire que son cœur est pur, et que ses sens ne l’ont pas égaré ? Oui celui-là seul est sans péché qui est venu délier les péchés du monde, qui veut sauver tous les hommes et qui ne veut pas la mort du pécheur. Il aime l’homme, son cœur est un trésor de miséricorde. Il est bon, propice, tout puissant, rédempteur du genre humain, le père des orphelins, le justicier des veuves, le Dieu de ceux qui font pénitence, le médecin des âmes et des corps, l’espérance des affligés, le port de ceux qui sont battus par la tempête, l’appui des infortunés que tous ont abandonnés, la voie de la vie enfin, et qui nous appelle tous à la pénitence, et qui ne rejette pas les pécheurs repentants. Réfugions-nous dans ses bras ; c’est en Lui que nous trouverons notre salut ».

    Le temps de Carême est donc un temps de renouveau spirituel où nous laissons à l’hiver qui s’enfuit nos hivers intérieurs qui détruisent nos âmes et dessèchent notre foi. Laissons bourgeonner à nouveau notre élan spirituel pour courir la course du croyant dont la seule arrivée possible est le Christ lui-même. Le Carême est ce temps favorable que Dieu nous
    donne par sa grâce pour restaurer en nous la vérité de l’amour de Dieu et la nécessité de dire cet amour autour de nous. Bon carême !

    Père Jean-Yves DUCOURNEAU