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  • L’ouverture du Concile Vatican II
    Cinquante Ans après

    Introduction :

    Bientôt, le 11 octobre prochain, l’Église célèbrera le jubilé des cinquante ans de l’ouverture du Concile Vatican II. Pour l’Église c’est un événement d’une portée incomparable. Ce Concile est né d’une intuition prophétique « d’un pape de transition », trop vieux pour gouverner l’Église aux yeux de beaucoup. Pourtant, déjà atteint par la maladie qui l’emportera neuf mois après l’ouverture de ce concile œcuménique, Jean XXIII va le préparer avec beaucoup de courage et de détermination. Il a l’immense joie de présider à l’ouverture de ce Concile dont il a eu l’intuition. Le « Bon Pape » meurt le 6 juin 1963, pleuré par le monde entier. Le concile survivra à son fondateur et sera conduit jusqu’au terme grâce à l’humble persévérance de son successeur Paul VI. Pour faire mémoire de cet événement, je vous propose, au cours de ce carême, un parcours de redécouverte de cet événement exceptionnel.
    Nous envisagerons ce parcours en deux temps.

    Aux deux premières rencontres nous découvrirons le contexte historique du Concile Vatican II. Nous verrons ce que chaque père conciliaire apportait, en lui, de valeurs et d’espérances.

    Les trois autres rencontres nous nous remettrons à l’écoute du discours inaugural du Pape Jean XXIII. Dans ce discours, il dévoile le programme du concile tel qu’il l’a pensé intuitivement. On est en droit de penser que ce discours du « Bon Pape Jean » conscient du mal dont il est atteint, nous livre par ce message son testament spirituel.

    1. Contexte,

    1.1 – Mouvements ecclésiaux qui préparent le Concile Vatican II :

    11.1 - la restauration des sciences sacrées.

    Au cours du XIXème l’Europe se réveille de ses torpeurs consécutives aux secousses politiques et sociales dont l’épicentre fut la révolution française. Dans le monde civil on voit naître un grand courant intellectuel, politique et social. On entre dans ce qu’on peut déjà appeler le monde moderne. L’Église n’échappe pas à ce grand mouvement de renouveau intellectuel, au milieu d’une société qui, de son côté, découvre les richesses de la science.
    Pour illustrer ce courant ecclésial, il suffit de citer l’exemple français plus connu. Le futur Dom Guéranger, dans sa jeunesse cléricale fréquentait la Chesnaie, où toute la jeune élite intellectuelle de l’Église de France de l’époque, se réunissait autour du brillant abbé Félicité de Lamennais .

    Outre l’abbé Prospère Guéranger, on y rencontrait l’abbé Henri Lacordaire , l’abbé Julien Morrel, l’abbé Guerbet, l’abbé de Salinis et Monsieur Charles Forbes, comte de Montalembert.

    Félicité, Robert de LAMENNAIS (1782-1854) brillant esprit, Ultramontain et « libéral », il fonde l’éphémère journal « L’Avenir » (16 octobre 1830 – 15 novembre 1931), auquel collaboreront les hôtes de la Chesnaie. Se sentant désavoué par l’encyclique Mirari Vos de Grégoire XVI (1832), il écrit un livre de feu : « Paroles d’un croyant » (30 avril 1834) justifiant sa révolte. Grégoire XVI le condamne explicitement dans la lettre apostolique Singulari vos. Ne pouvant se soumettre il s’écarte de l’Église et « se sécularise ». Déçu aussi par la II° République. Il mourut découragé.
    Jean-Baptiste Henri LACORDAIRE (1802-1861), restaure en France l’Ordre des frères prêcheurs en 1840. Le 12 avril 1840 il prononce ses vœux à ROME et choisit le prénom de Dominique.

    Tous avaient souffert de la qualité déplorable de l’enseignement des sciences ecclésiastiques dans les séminaires français (ouverts à la suite du Concordat signé entre le Pape et Napoléon Bonaparte en 1801). Ils voyaient dans l’approfondissement des sciences sacrés, une honnêteté vis à vis des autres sciences, à l’honneur dans la société contemporaine (positivisme), et un outil pour la « restauration » du Christianisme. Partageant les idées libérales et ultramontaines, ils désiraient réconcilier l’Église avec la société contemporaine. Les condamnations successives ne permettent pas d’en évaluer les fruits réels, mais le concile recueille, de fait, cet héritage et va permettre une véritable réconciliation entre le monde contemporain et l’Église.

    Le champ des recherches qui s’ouvre alors, semble très vaste et concerne toutes les disciplines des sciences ecclésiastiques

    111.1 – Le mouvement Liturgique :

    Chronologiquement, c’est le Mouvement Liturgique qui oeuvre ce champ de recherches. Une figure prédomine, celle de Dom Prosper-Pascal Guéranger (1805-1875), Abbé de Solesmes. Restaurateur de la vie bénédictine en France, il est l’initiateur involontaire du Mouvement Liturgique (1837). Il l’est certes par ses écrits et sa contribution au retour des diocèses français à la liturgie romaine. Par ses recherches érudites, à l’aune des bénédictins de la congrégation de St Maur, éteinte à la révolution française, il a l’ambition de démontrer que la liturgie romaine n’a pas été altérée au cours des siècles, qu’elle est le seul témoin du culte le plus authentique. En initiant des recherches pour la restauration du chant grégorien, il est dans la logique de cette démarche. En septembre 1909, « Le Congrès des Œuvres Catholiques » à Malines (Belgique), dont le principal artisan est un bénédictin belge Dom Lambert BAUDUIN, fait figure de premier événement public du Mouvement liturgique. Ce mouvement se répand dans toute l’ancienne Europe. En France, Louis DUCHESNE, Fernand CABROL, Pierre BATIFFOL, Pierre PUNIET, Henri LECLERC et plus proche de nous, les Pères DUPLOYE et ROGUET, respectivement fondateur et directeur du CPL, sans oublier l’autre directeur de ce dernier le Père MARTIMORT. En BELGIQUE, outre Dom BAUDUIN, l’abbaye du Mont-Césard et de saint-André de Brugges, et deux personnalités saillantes Dom Gaspar LEFEBVRE et Dom Bernard BOTTE. En Allemagne, Les frères Wolter, fondateurs de Beuron, qui étaient venu s’initier à la vie bénédictine auprès de Dom Guéranger à Solesmes, joueront en Allemagne et dans leurs fondations, un rôle similaire à ce dernier. D’autres personnalités joueront un rôle prépondérant en ce mouvement, parmi elles il faut citer : Romano GUARDINI et Odo CASEL. En Autriche, Pius PARSCH. En Angleterre E. BISHOP et H.A. WILSON. En Italie, Dom Ildephonse SCHUSTER, les monastères de Finalpia Ligure et sainte Justine de Padoue. En Espagne, les moines de Montserrat, et les moines de Silos, avec leurs études du Rite Wisigothique.

    De multiples publications, livres ou collections, et revues soulignent l’ampleur du terrain de recherches pluridisciplinaires de niveau tant scientifique, qu’universitaire, n’excluant jamais des ouvrages ou revues de vulgarisation.
    Parmi les plus connus il convient de citer : Le Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, de F. CABROL et H. LECLERCQ (et Henri MARROU) Ed. Letouzey et Ané, 1907-1953, 15 t. en 30 volumes. La collection LEX-ORANDI, Ed. du Cerf. La revue La Maison Dieu, Ed. du Cerf. Questions Liturgiques et Paroissiales, devenue Questions Liturgiques, Louvain, Abbaye du Mont César, Paroisse et Liturgie, Publications de Saint-André. Ed. Biblica, Bruges.

    111.2 – Renouveau Biblique :

    Autre champ de recherches, les découvertes archéologiques concernant la Bible et les pays de sa production. Le travail critique, sur et autour, des textes scripturaires et l’avènement d’une discipline théologique nouvelle dans le catholicisme : l’exégèse. Le « Renouveau biblique » dont un des principaux initiateurs est un dominicain français, le Père M.-J. LAGRANGE, fondateur en 1890, de « l’École Biblique de Jérusalem ». Nous ne pouvons citer les nombreuses personnalités qui, dans tous les pays du vieux continent européen, ont travaillées et étudiées dans ce domaine des sciences bibliques. La contribution des pays germaniques et anglo-saxon, stimulée par les exégètes de la Réforme, ont apporté une contribution considérable. Après de multiples condamnations et intrigues diverses, le Renouveau Biblique trouve un apaisement et une consécration lors de la publication de l’encyclique DIVINO AFFLANTU SPIRITU, de Pie XII, le 30 septembre 1943, en la fête de Saint Jérôme ! Le temps écoulé nous a fait oublier l’impact exceptionnel de l’événement. Du jour au lendemain, l’exégèse jusque là suspectée, trouvait le droit de cité dans l’Église Catholique. On pouvait enfin passer la Bible au crible de la critique des sciences modernes sans y voir une démarche blasphématoire. L’inspiration divine, la révélation, n’étaient plus confondues avec l’épaisseur des médiations humaines. En 1947, les sciences bibliques font un saut vertigineux dans le domaine des écrits bibliques et para-bibliques à la suite de la découverte des manuscrits de la Mer Morte (bibliothèque des Esséniens de Qumran)

    111.3 - la Patristique :

    D’autre part, celui de la patristique, entreprise menée par des bénédictins de l’époque classique, avec des hommes aussi célèbre que Mabillon, Montfaucon et Martène, fut continuée et approfondie sous l’impulsion de Dom Guéranger, par les nouveaux bénédictins de Solesmes qui se voulaient héritiers de la glorieuse congrégation de Saint-Maur. Parmi les plus remarquables, il faut saluer la silhouette austère de Dom Pitra qui sillonna toute l’Europe, y compris la Russie, passant le plus clair de son temps, dans les plus prestigieuses bibliothèques, à recopier des livres ou des manuscrits uniques. Il entreprit la publication de ses découvertes dans les Spicilegium solesmense. Pie IX voulu récompenser son travail en le créant Cardinal, Bibliothécaire de la Sainte-Église Romaine, la Bibliothèque Vaticane. C’est le non moins célèbre Abbé Migne, qui bénéficiât de ses collations et d’autres travaux de moines anonymes qui avaient travaillé à la préparation d’éditions critiques des pères. Il éditât les deux patrologies (latines et grecques) sans compter d’autres dictionnaires, qui devaient constituer une sorte d’Encyclopédie des sciences ecclésiastiques ! Les autres pays européens, les pays germanique et anglo-saxon, ont apporté leur contribution aux recherches et traductions des pères. (L’exemple allemand de la collection Corpus Christianorum).

    Après la guerre de 39-45, ce mouvement sera poursuivi par d’autres publications, entr’autre en France, « les Sources Chrétiennes », dont la création doit beaucoup à l’esprit d’entreprise et à l’érudition des futurs cardinaux Jean Daniélou et Henri de Lubac et de son premier directeur le Père Mondésert. Cette collection offre en regard le texte critique et une traduction. Les préfaces, introductions et notes sont très précieuses.

    111.4 – Histoire et Archéologie  :

    On ne peut oublier de nombreux ouvrages historiques ou archéologiques qui ont permis une plus juste appréciation et connaissance de l’histoire de l’Église. La collection Mansi, le Denziger des Allemands, par exemple, en sont de brillants et utiles témoins.

    111.5 – Mouvement Œcuménique :

    Enfin, il faut évoquer le Mouvement Œcuménique qui voit le jour à la fin du XIX° siècle. La première rencontre de Lord Halifax et de l’abbé Portal, remonte à 1889. Cet événement est considéré comme l’acte fondateur du Mouvement Œcuménique. En France, un prêtre lyonnais, l’abbé Paul Couturier (1881-1953) est un des infatigables et enthousiastes apôtres de ce mouvement. Jean XXIII, en convoquant le Concile Vatican II a voulu qu’il soit Œcuménique, non seulement pour satisfaire au titre traditionnel (permettant de le distinguer des conciles particuliers) mais surtout pour exprimer la volonté de travailler efficacement au retour à l’Unité des Chrétiens.

    111.6 – Nouvelles initiatives pastorales :

    En marge de ce foisonnement de recherches intellectuelles, on ne peut ignorer les expériences pastorales que vont initier divers courants.
    En premier lieu, Il convient de souligner le rôle de renouvellement des mentalités que vont opérer d’abord les mouvements, action catholique, scoutisme, patro’s, manécanteries (ou maîtrises), etc.
    En second lieu, il est impossible d’ignorer l’impacte profond des deux dernières guerres. Celles-ci vont permettre aux prêtres (l’expérience de promiscuité des tranchées en 14-18, de la captivité en 14-18 et 39-45) comme aux séminaristes (avec l’expérience du STO) d’être plus proches des laïcs et de leurs attentes. Après la guerre, certains prêtres qui avaient vécu de telles expériences « missionnaires » voulurent continuer de vivre leur ministère au cœur même de la vie et du travail des hommes (prêtres ouvriers et mission de Paris et de France).

    11.2 - France Pays de Mission

    Partout œuvrent des hommes et des femmes d’Église. Ceux qui reviendront marqués de tant d’expériences de proximité avec les hommes ne voudront plus voir leur ministère autrement que plongé dans cette pâte humaine. C’est alors que commence l’aventure des prêtres ouvriers ! En 1941, avait eu lieu, fondation du séminaire de la Mission de France, sous l’impulsion du Cardinal Suhard, Archevêque de Paris (Monseigneur Emmanuel SUHARD (1874-1949), Cardinal en 1935, Archevêque de Paris de 1940 à 1949)). La fondation de la Mission de France, de la Mission de Paris, l’ouvrage de Godin et Daniel, La France, pays de mission ? La lettre pastorale du cardinal Suhard , Essor ou déclin de l’Église (1947), toutes ces initiatives et écrits mettent l’accent sur un renouvellement de la pastorale face aux milieux déchristianisés et particulièrement au monde ouvrier. L’impossibilité pour les prêtres d’entrer en contact avec les travailleurs sur leurs lieux de vie pousse quelques prêtres au début de 1944 à devenir ouvriers en usine. Ce sont des membres de la Mission de Paris et de la Mission de France, des religieux de divers ordres, puis des prêtres séculiers. Malgré le petit nombre – une centaine en 1954 – cette expérience que le roman de Gilbert Cesbron, Les saints vont en enfer (1952), fait connaître dans le grand public – a un grand retentissement. Elle marque un changement de style de vie du prêtre que l’on croyait définitivement fixé par le Concile de Trente et encouragé par l’École française. Un nouveau visage du Prêtre vient de se révéler et persistera de façon durable dans les esprits. Être pasteur c’est aussi partager la vie et les préoccupations des brebis. Être « au cœur du monde parce qu’au cœur de Dieu ». Évangéliser au cœur des hommes en partageant toute leur vie. « Ces prêtres ne portent plus la soutane, vivent en appartement, autrement dit, vivent comme tout le monde, ont des actions communes avec des non-chrétiens et des communistes... »

    Ce sera aussi le point de départ de nombreuses controverses, non seulement du côté des chrétiens traditionnels mais également du côté des militants de l’A.C.O. dont certains ne comprennent pas cet apostolat direct du prêtre qui semble prendre la place des laïcs.

    2. TENSIONS ET CRISES

    Les dernières années du long pontificat de Pie XII (19 ans et 7 mois) connaissent une série de tensions et de crises qui s’enchevêtrent. Ce sont les fruits d’un certain nombre d’incompréhensions et de peurs, mais aussi le signe que dans plusieurs domaines on arrive à des limites et à des difficultés inévitables.

    2.1 - Théologie

    En août 1950, Pie XII publie l’encyclique Humani Generis « sur certaines opinions fausses qui menacent de ruiner les fondements de la doctrine catholique ». Le pape met en cause ce qu’on a appelé parfois « la nouvelle théologie », une réflexion théologique adaptée à l’homme contemporain, qui prend largement en compte l’histoire. Le pape demande de revenir à l’orthodoxie thomiste dans les domaines philosophiques et théologiques. En matière de relations entre chrétiens, l’encyclique s’inquiète d’un irénisme imprudent qui ferait sacrifier la doctrine à l’unité. Aucune personne n’est nommée, aucun catalogue d’erreurs n’est dressé, mais on découvre en filigrane les théologies et les théologiens condamnés : -l’incompatibilité du polygénisme (plusieurs êtres humains à l’origine de l’humanité) avec le dogme de la création et du péché originel vise Teilhard de Chardin. Les débats concernant nature et surnature, histoire et dogme visent des théologiens jésuites qui font les frais de l’encyclique : les Pères Henri de Lubac, Pierre Ganne, Henri Bouillard, Émile Delaye, Alexandre Durand Jésuites, doivent cesser leur enseignement et renoncer à publier.

    1950 LE TOURNANT DE FOURVIERE, vu PAR HENRI DE LUBAC (Mémoires sur l’occasion de mes écrits. 1983) « C’est en juin 1950 que la foudre tomba sur Fourvière. Je ne fais pas ici la chronique des événements. Elle serait fertile en incidents dramatiques et mélodramatiques. Je ne tente pas non plus d’explications causales. Comme dans ce qui précède, j’évoque ici seulement quelques-uns des détails qui me concernent, pour aider à comprendre l’occasion et la nature de mes divers écrits. Qu’on veuille donc bien excuser le caractère toujours résolument égocentrique de ces pages. Le fait est que je me suis trouvé au centre du cyclone, ou de l’anticyclone, comme on voudra’.
    Le Père Général m’ayant écrit, dans l’une de ses lettres de cette époque, qu’il avait dû m’enlever à l’enseignement de Fourvière, je dus lui répondre (il me fallut chercher des formules pour que le simple exposé des faits ne parût pas une insolence) qu’il était obéi d’avance depuis longtemps, attendu que depuis le printemps de 1940 je n’avais plus donné une seule heure de cours à Fourvière et que je ne faisais en rien partie du corps professoral de la maison. En effet, tout au long de ma vie, mon enseignement à Fourvière s’est borné à un cours spécial d’histoire des religions entre 1935 et 1940 (8 leçons par an, et dont on était facilement dispensé), simple « titulus coloratus » pour justifier ma présence dans la maison ; une année cependant, je donnai quelques heures de cours sur la Tradition , pour alléger la tâche du Père Fontoynont, dont les forces commençaient à décliner. Lorsque, en septembre 1951, Fourvière dut faire au Pape une double adresse d’adhésion signée par tous les professeurs, mon cas fut embarrassant : non seulement je résidais à Paris depuis un an déjà ; mais depuis plus de dix ans je n’avais rien enseigné au scolasticat ; mais on me disait que si le Pape ne voyait pas mon nom sur l’adresse, il me tiendrait pour insoumis (à Rome, on m’avait fait passer pour « le chef de l’École de Fourvière », et tout un mythe s’était créé là-dessus), et la fermeture pouvait s’ensuivre. De fait, la menace était sérieuse, la situation tragique, d’autant plus que l’intimation venue de « Rome » ne parvint à Lyon (était-ce manœuvre calculée ?) que dans les derniers jours avant la rentrée scolaire". Convoqué à Lyon par le nouveau Provincial, qui était le Père André Ravier, je pris part, dans son bureau, à la réunion du corps professoral ; on finit par adopter la solution que je proposai - chacun indiqua sur la feuille le titre et les années de son enseignement, et je signai : « Histoire des religions, 1935-1940 »
    Les décisions romaines de juin 1950 émanaient officiellement du seul Général de la Compagnie.
    Celui-ci les motivait cependant par le fait d’« erreurs pernicieuses sur des points essentiels du dogme » soutenues par les cinq professeurs en cause qui étaient relevés de leur charge et changés de résidence : les Père Émile Delaye, Henri Bouillard, Alexandre Durand, Pierre Ganne et moi ».

    En 1954, en liaison avec l’affaire des prêtres-ouvriers, des théologiens dominicains sont interdits d’enseignement : Yves Congar, Marie-Dominique Chenu.
    La définition du dogme de l’Assomption, le 1er novembre 1950, a réjoui la grande majorité des catholiques, mais a fait naître un malaise dans les milieux œcuméniques, chez les protestants et les orthodoxes.

    2.2 - L’affaire des prêtres-ouvriers

    En France, le souci de l’évangélisation des plus pauvres ne peut faire abstraction de l’appartenance d’une grande partie du monde ouvrier à la mouvance communiste, syndicat et parti. Des catholiques pensent que par solidarité ils peuvent s’engager au côté du parti communiste et constituent une Union des chrétiens progressistes. Les prêtres-ouvriers sont entrés à la C.G.T. Dans un ouvrage de 1951, Les Événements et la Foi, le P. Montuclard estime qu’une transformation de la société doit précéder l’évangélisation. Le Saint-Office interdit la collaboration avec les communistes. Bientôt à Rome, on s’inquiète du style de vie et des engagements des prêtres-ouvriers. Le pape estime que le prêtre-ouvrier n’est plus l’homme du spirituel et qu’il met en cause la spécificité de l’action des laïcs. Le prêtre-ouvrier se laïcise et Pie XII veut sauvegarder l’intégrité sacerdotale. Il souhaite un clergé missionnaire mais non une nouvelle forme de sacerdoce. Malgré les efforts des cardinaux français, le 1er mars 1954, les prêtres-ouvriers doivent renoncer à un travail à temps plein en usine. Sur la centaine de prêtres-ouvriers, environ la moitié se soumet, tandis que les autres continuent, se sentant liés à la classe ouvrière dont l’Église semble se désintéresser. L’affaire a de profondes répercussions. La réorganisation du séminaire de la Mission de France et la création de la Mission ouvrière, coordination de la pastorale ouvrière (prêtres et Action catholique) veulent signifier que l’Église de France n’abandonne pas ses perspectives premières.

    2.3 - Quelques autres crises

    Des tensions se manifestent en France entre les divers mouvements d’Action catholique spécialisés de jeunes, que regroupait l’A.C.J.F. (Association Catholique de la jeunesse française). La J.A.C. et la J.E.C. donnent une grande place à l’effort d’humanisation et d’éducation en pensant que leurs mouvements peuvent lui imprimer une marque propre. La J.O.C. insiste plutôt sur l’évangélisation et estime qu’il faut accepter les institutions du mouvement ouvrier, qui sont nées en dehors des préoccupations chrétiennes. La J.O.C. craint la collaboration de classes qu’accepteraient J.A.C. et J.E.C., plus sensibles aux phénomènes globaux de civilisation. L’A.C.J.F. disparaît en 1956.

    En septembre 1957, c’est l’affaire du catéchisme, la première du genre. Rome demande le départ de trois responsables du Centre National de l’Enseignement Religieux de Paris, dont l’abbé Joseph Colomb, p.s.s. (Nous connaissons le deuxième Mgr. François Coudreau (1916-2004) : Originaire de la Mothe Saint Héray, Il avait fait ses études secondaires au Petit Séminaire de Montmorillon. Ordonné prêtre en 1943, il entra alors dans la Compagnie de Saint Sulpice. Il était resté profondément attaché à son diocèse d’origine et participait régulièrement à la journée du Lundi-Saint avec le presbyterium poitevin. Titulaire d’un doctorat en théologie il assura une carrière brillante d’enseignant et de conférencier. Il marqua de sa culture et de sa forte personnalité tous ceux qui ont eu la chance de le connaître.) Des milieux intégristes ont dénoncé à Rome « le catéchisme progressif » que certains appellent « progressiste ». On reproche à la méthode de Colomb de ne pas enseigner aux enfants dès le départ tous les dogmes chrétiens : péché originel, Trinité... On l’accuse encore de naturaliser les vérités surnaturelles en faisant trop appel à l’expérience humaine et religieuse des enfants.

    Au terme d’un pontificat très riche en initiatives, un certain nombre de blocages sont apparus. Un nouveau pontificat et l’annonce du Concile vont permettre à ces efforts de l’après-guerre de porter tous leurs fruits.

    3. Notice Biographique de Jean XXIII :

    Angelo Giuseppe Roncalli naît le 25 novembre 1881 à Sotto il Monte dans le diocèse de Bergame en Lombardie. Il est le 4e d’une famille de 14 enfants dont 10 survivront. Deux familles, dont les deux pères sont frères, vivent sous le même toit et exploitent une métairie. Sur cette assemblée patriarcale préside « l’oncle » Saverio dont les conseils et l’exemple ainsi que ceux des parents auront une grande influence sur la formation religieuse, simple mais fondamentale, de l’enfant. Il entre au séminaire de Bergame en 1892 où il fait ses études secondaires et à partir de 1901, grâce à une bourse qui récompense les meilleurs élèves, il est étudiant au Séminaire pontifical romain. En 1904, il est ordonné prêtre et l’année suivante, l’évêque de Bergame, Mgr Radini Tedeschi qu’il vénère profondément, le choisit comme secrétaire. En même temps, il donne des cours au Séminaire et seconde son évêque dans son action pastorale et sociale. C’est un prédicateur fort apprécié. Il est passionné d’histoire. « Historia magistra vitae » dit-il (L’histoire est maîtresse de vie). En 1921, appelé à Rome par le Pape Benoît XV, il est chargé des Œuvres pontificales missionnaires pour toute l’Italie. En 1925, Pie XI le nomme Visiteur, puis Délégué apostolique en Bulgarie. Comme devise épiscopale, il choisit « Obedientia et pax », devise qui donnera le cachet de toute son action. En effet, la paix est le fond de sa spiritualité. En 1935, il est nommé Délégué apostolique en Turquie et il enrichit son expérience au contact des milieux orthodoxe et musulman. Quand la deuxième guerre mondiale éclate, il exerce une grande action humanitaire en faveur des prisonniers et il sauve un grand nombre de Juifs. En décembre 1944, Pie XII le nomme Nonce à Paris. Quand dans la France libérée sonne l’heure des règlements de comptes, il réussit à éviter l’expulsion de la plupart de ceux qui, parmi les évêques, sont soupçonnés de compromission avec l’occupant. Mais plus que d’un diplomate, c’est le souvenir d’un ’prêtre’ et d’un ami qu’il désire laisser aux Français. En 1953, il est nommé Patriarche de Venise et Cardinal.

    Le 28 octobre 1958, il est élu Pape. Par la simplicité de son âme et sa singulière bonté, il conquiert les cœurs. Témoin, cette réflexion d’une femme dans une salle de cinéma à Lausanne au moment où l’on voyait Jean XXIII aux ’Actualités’ : « Ce Pape, il a beau être catholique, c’est un type formidable ». Il convoque le Synode romain, décide la révision du Code de Droit Canon de 1917. Le 25 janvier 1959, il annonce la convocation d’un Concile Œcuménique. Vatican II ouvre une nouvelle page de l’histoire de l’Église. « A notre époque, dit le Pape dans son discours d’ouverture, l’Épouse du Christ préfère se servir du remède de la miséricorde, plutôt que de faire usage de la sévérité ; elle considère qu’elle doit aller au-devant des nécessités actuelles en montrant la valeur de sa doctrine, au lieu de la condamnation ».

    En 1963, le Jeudi-Saint tombe un 11 avril. Jean XXIII choisit ce jour pour dater sa dernière encyclique, celle qu’il veut offrir au monde comme un ’cadeau’ : « Pacem in Terris ». Pour la première fois, elle s’adresse non seulement aux évêques et aux fidèles, mais à « tous les hommes de bonne volonté ». Tous les hommes, qu’ils le sachent ou non, qu’ils y croient ou non, sont l’objet de la bienveillance et de la sollicitude divines. Fidèle à l’inspiration de toute sa vie et à sa charge pastorale, le Saint-Père n’exclut personne. Affaibli par le cancer qui va bientôt l’emporter, il reprend dans ce message de paix l’essentiel de ses convictions.

    En mai, quelques jours avant sa fin, il dit à des Directeurs des Œuvres Pontificale Missionnaires : « Depuis plus de 40 ans, je suis au service des Missions, j’y resterai jusqu’à ma mort ». Dans son testament il écrit : « Ce qui compte le plus dans la vie est Jésus Christ béni, sa Sainte Église, son Évangile, la vérité et la bonté ».

    « Le Pape Jean a laissé dans le souvenir de tous l’image d’un visage souriant et de deux bras ouverts pour embrasser le monde entier ». (Jean Paul II)
    Encycliques :

    • Ad Petri Cathedram, (29 juin 1959), inauguration du pontificat.
    • Sacerdotii nostri primordia, 31 juillet 1959, sur Jean-Marie Vianney, curé d’Ars ;
    • Gratia Recordatio, 26 septembre 1959, sur le Rosaire ;
    • Princeps Pastorum, 28 novembre 1959 sur les missions ;
    • Mater et Magistra, 15 mai 1961, commémoration de Rerum novarum ;
    • Aeterna Dei Sapientia, 11 novembre 1961 ;
    • Pænitentiam agere, 1er juillet 1962, sur le futur concile ;
    • Pacem in terris, 11 avril 1963, sur la paix ;

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