• Logo
  • Histoire des évangiles

    7- Qui dit vrai ? (suite)

    Dans le précédent article, le lecteur était invité à lire les quatre récits évangéliques rapportant les derniers moments de Jésus sur la croix. Il a pu se rendre compte de leur ressemblance de fond, mais, en même temps, de leurs différences. Cette constatation peut le troubler et il est nécessaire d’apporter un autre éclairage pour, si possible, dissiper ce trouble.

    Qu’est-ce que la vérité ?

    Il faut nous entendre sur ce que nous appelons la ‘Vérité’. Si nous avons en tête que ne peut être vrai que ce qui est filmable et enregistrable, les récits de la Passion, comme tout l’Evangile, n’entrent pas dans une telle catégorie. Par ailleurs, des images dites « vraies » selon nos normes peuvent être manipulées suivant l’angle de vue, suivant ce qui est pris ou pas pris, suivant aussi le traitement qui peut être fait aux images en laboratoire !

    Par contre, une fiction peut nous faire atteindre la vérité plus sûrement qu’un reportage « sur le tas ». Par exemple la rediffusion récente du film de Charly Chaplin : « le Dictateur », caricature ‘romancée’ de Hitler, nous disait certainement plus la ‘vérité’ de cette dictature horrible que les films ‘réels’ et d’époque, mais qui étaient des films de propagande. Je ne dis pas que l’Evangile est une fiction. J’ai seulement pris cette comparaison pour aider à comprendre.

    Plutôt que de se demander : « Qui dit vrai ? », mieux vaut se dire : « A quelle vérité les quatre évangélistes veulent-ils nous faire parvenir ? »

    Quelques remarques sur les récits de la mort de Jésus

    Si on voulait ne laisser que les ‘os’ à ces récits, on dirait : Jésus a été crucifié ; des malfaiteurs crucifiés avec lui l’ont insulté ; on lui a donné du vinaigre à boire ; il a poussé un cri et il est mort. Quelques amis, surtout des femmes, se tenaient à quelque distance.

    Un tel récit, sec et froid, tout en étant exact à la manière d’un fait divers de journal, ne dit pas grand chose sur la mort de Jésus, sur le sens que les évangélistes ont voulu lui donner. Ils délivrent, chacun à leur manière, un message particulier.

    Dans le récit de Marc, sans doute le plus ancien, seul le centurion déclare : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu. » Cette parole ne se comprend bien qu’en pensant à la suite d’interrogations qui jalonnent tout son évangile : « Quel est donc cet homme ? », et c’est un païen, et non un juif, ni même un disciple, qui donne la réponse. L’évangile de Marc est destiné aux communautés d’origine païenne.

    Matthieu utilise la même trame de récit que Marc, y compris la parole du centurion, mais cette fois il n’est pas seul à la prononcer. Par ailleurs, en évoquant symboliquement les morts sortis des tombeaux, il enracine la mort de Jésus dans l’histoire de son peuple ; ces morts ressuscitant représentent l’attente de tout un peuple enfin réalisée. L’évangile de Matthieu est destiné aux communautés d’origine juive.

    Le récit de Luc est bien dans la ligne de tout cet évangile : la miséricorde. C’est le sens du dialogue avec les deux malfaiteurs qui se termine par la parole de Jésus : « En vérité je te le dis : aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » De même, en soulignant que les spectateurs s’en vont en se frappant la poitrine, Luc les présente comme en disposition de recevoir le pardon.

    Les lecteurs de Jean feront facilement le lien entre les deux seuls épisodes où il est question de la ‘mère de Jésus’ : Cana et la Croix. A Cana, l’heure de Jésus n’est pas encore venue ; la mère oriente vers Jésus. A la Croix, l’heure est venue, l’heure de la glorification ; Jésus ne laisse pas les disciples orphelins (symbolisés par ‘le disciple que Jésus aimait’) ; il les confie à celle qui symbolise l’Eglise : sa mère. Pour Jésus, maintenant, tout est achevé.

    Chacun des auteurs, comme un cinéaste, a usé de sa liberté de créateur pour présenter son récit à sa façon. Ces quatre approches, ces quatre témoignages de foi, sont complémentaires et irréductibles les uns aux autres. Ils nous font accéder, chacun pour sa part, à la vérité tout entière révélée en Jésus Christ.

    Ce que nous venons de faire à propos des récits des derniers moments de Jésus, nous pourrions le faire pour d’autres épisodes rapportés par les évangiles.


    Pour une meilleure connaissance de l’Evangile dans le peuple chrétien

    A la fin de cette série d’articles sur les origines des évangiles, je m’implique un peu plus. Si une telle réflexion a été proposée, ce n’est pas d’abord pour satisfaire une curiosité, aussi légitime qu’elle soit. Ce n’est pas non plus pour défendre les évangiles contre d’éventuels ennemis : ce genre de défense ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus !

    C’est pour inviter les lecteurs, chrétiens ou non, à se plonger dans les évangiles avec un regard renouvelé. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière », dit Jésus (Jn 3, 21) Les évêques de France nous invitent à aller au cœur de la foi. Comment ne pas privilégier cette approche renouvelée de l’Evangile ? Elle peut se faire individuellement. Cependant le chrétien doit se souvenir que l’Evangile a été « produit » par un peuple, pour un peuple. Il est marqué à tout jamais par cette dimension communautaire.

    Je serai heureux si, à la suite de ces articles, des chrétiens en plus grand nombre décident de ‘piocher’ ensemble l’Evangile, de se former à un partage suivi de l’Ecriture, de solliciter les responsables de l’Eglise pour que soit assurée une bonne formation d’animateurs bibliques. Dans une période où, les communautés chrétiennes se laisseraient volontiers aller à une certaine morosité, un tel élan ne pourrait que raviver l’espérance.

    Joseph CHESSERON