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  • Lettre ouverte à Jonas

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    Mon cher Jonas,

    Décidément, tu es un drôle de numéro ! Curieux prophète : comme le chien de Jean Nivelle, tu t’enfuis quand on t’appelle. Pour ceux qui ne connaîtraient de ton aventure que le coup de la baleine, je voudrais résumer ton histoire en quelques phrases.

    Dieu commence par t’ordonner d’aller à Ninive afin de l’appeler à la conversion. Pour toi, il n’en est pas question ; cette grande ville ennemie, pleine d’abominations, elle n’a qu’à périr dans son péché. Tant pis pour elle ! Tu prends donc un bateau en partance pour Tarsis, tout à fait à l’opposé.

    Le début de tes ennuis

    Seulement voilà ! Pendant que tu dors tranquillement au fond de la cale, survient une terrible tempête. Les marins pensent que ce sont les dieux qui se fâchent contre un des passagers. Sans ménagement, on vient te réveiller. Le sort te désigne comme le coupable et tu finis par avouer ta désobéissance à ton Dieu. Pour que les marins soient sauvés, tu les supplies de te jeter à l’eau, ce qu’ils font à contrecœur. Ce sont de bons bougres qui ne te veulent pas de mal. Pour eux, tout finit bien, la tempête se calme.

    Pour toi, c’est une autre paire de manches. Et voilà le coup de la baleine ; en fait, il est dit que Dieu envoie un énorme poisson. Il t’avale sans te croquer. Tu restes trois jours dans son ventre (bonjour la vraisemblance !). Et là, tu prends conscience du mauvais pas dans lequel tu t’es mis. Ta prière à Dieu est émouvante. Mais est-elle bien sincère ? On pourrait en douter en entendant la suite de ton histoire. Dieu, cependant, écoute ta prière et le gros poisson te rejette sur la plage.

    Prophète malgré toi

    Mais Dieu ne te lâche pas comme ça. Il renouvelle son ordre : « Va à Ninive ! » Toujours en renâclant, tu y vas au galop : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » A ton grand étonnement, tout le monde se met à faire pénitence, des plus petits jusqu’aux plus grands, y compris les animaux (re bonjour la vraisemblance !). Et le roi lui- même quitte ses vêtements somptueux, revêt le sac et se couvre ce cendre ! Dieu voit leur repentir et décide de ne pas détruire Ninive.

    Tu devrais être content. Mais non ! tu boudes. C’est bien pour cela que je doutais de la sincérité de ta prière. Tu dis à Dieu : « J’avais bien raison de m’enfuir vers Tarsis. Je savais d’avance que tu finirais par pardonner ; c’est dans ta nature, et moi, ça me chagrine. Tu ne joues pas le jeu ; tu écoutes quand on te demande pardon, au lieu d’être le Dieu justicier qui punit chaque faute, un Dieu comme il faut, quoi ! ».

    Et ça continue !

    Furieux, tu montes sur la colline dominant la ville et tu dis : « Mieux vaut pour moi mourir que vivre ». Le soleil cogne dur sur ta tête de mule. Dieu a pitié de toi. Il fait pousser près de toi un quelque chose (mot unique dans la Bible, quasi intraduisible), comme un ricin. A son ombre tu te calmes.

    Mais tes épreuves ne sont pas finies. Une bestiole ressemblant à un ver mange la racine du ricin et le fait mourir en un instant. Plus d’ombre ! et, pour comble de malheur, se lève un grand vent d’est, un vent brûlant et desséchant . Et te voilà reparti dans tes lamentations : « Je l’avais bien dit : tout va mal ; même ce pauvre ricin qu me donnait de l’ombre en vient à crever ! »

    Un Dieu ‘comme il faut’

    Alors, c’est au tour de Dieu de se fâcher. Je cite intégralement les paroles qu’il t’adresse et qui donnent sens à ton histoire : « Toi, tu as pitié de cette plante pour laquelle tu n’as pas peiné et que tu n’as pas fait croître ; fille d’une nuit, elle a disparu âgée d’une nuit. Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive la grande ville où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes sans nombre ! »

    Le petit livre qui raconte ton histoire ne rapporte pas ta réponse. Je suppose que tu as enfin compris ce qu’est un Dieu ‘comme il faut’ : un Dieu d’amour et de tendresse, qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive.

    Prophète malgré toi, tu nous révèles quelque chose du cœur de Dieu. Merci, Jonas !


    Note pour une meilleure compréhension de la Bible

    La Bible comporte des genres littéraires très variés. En plus des récits de type historique, il y a de nombreux poèmes (les psaumes), des textes juridiques qu’on trouve plus spécialement dans le Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome), des livres de Sagesse, et aussi des romans, par exemple celui de Joseph, dans la Genèse, ou le livre de Ruth, ou encore le livre de Tobie.

    Le livre de Jonas relève du genre roman, ou plutôt nouvelle, étant donné sa brièveté. Sa visée est théologique. Nous sommes au retour de l’ Exil à Babylone. Il y a urgence à reconstruire le peuple autour de valeurs sûres. Les peuples des alentours risquent de lui communiquer le virus de l’idolâtrie. Il faut l’en protéger. On édicte des lois rejetant les étrangers, interdisant par exemple le mariage avec des femmes étrangères. Mais le balancier va trop loin. Le peuple élu risque d’oublier qu’il est porteur d’un message de salut pour tous les hommes. Il faut lui rappeler que personne n’est exclu de la miséricorde de Dieu. Pour cela, l’auteur anonyme se sert d’un obscur prophète dont fait mention le 2ème livre des Rois (2R 14, 15) et raconte une histoire pleine d’invraisemblances…et d’humour !.

    Dommage qu’on n’ait trop souvent retenu que l’histoire de la « baleine ». En effet Jésus lui-même se servira de cette histoire comme signe de l’essentiel de sa mission : « Car tout comme Jonas fut dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. Lors du jugement, les hommes de Ninive se lèveront avec cette génération et ils la condamneront, car ils se sont convertis à la prédication de Jonas ; eh bien ! ici il y a plus que Jonas ». (Mt 12, 40-41) L’évangéliste annonce ainsi la mort et la résurrection de Jésus.

    Joseph CHESSERON

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