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  • Lettre ouverte…à Osée

    Mon cher Osée

    Je viens de lire et de relire le livre qui porte ton nom. Les spécialistes pensent que, comme pour beaucoup de prophètes, ce sont tes disciples qui ont raconté ton histoire et rapporté tes paroles. Il faut bien reconnaître que ta vie n’est pas banale, si du moins on s’en tient à ce qui en est raconté. Certains même diront qu’il y a chez toi un brin de folie. A bien y réfléchir, je pense que c’est le mot qui vous caractérise le mieux, toi et le Seigneur.

    Une époque troublée

    Tu vis dans une période troublée, aux environs de 750 av. J.C.. Tu habites Israël, le Royaume du Nord, séparé, depuis la mort du roi Salomon (933), de Juda, du Royaume du Sud. Quelques années avant ton arrivée sur la scène publique, un général, Jéhu, à l’instigation du prophète Elisée, a fait supprimer le roi d’Israël, Yoram, ainsi que sa mère Jézabel, et a pris sa place. Une violence de plus, pourrait-on dire, et qui ne change pas la mentalité des Israélites. Ils sont toujours tentés de faire appel aux idoles, en particulier au dieu Baal, le dieu de la fécondité, tout en continuant à honorer YHWH, le Seigneur. Et c’est ça qui met Dieu en colère. Vous, les prophètes, vous appelez cela de la prostitution. Israël est comparé à une femme qui vit toujours avec son mari, mais qui court après d’autres hommes pour de l’argent.

    Ta conduite symbolique

    Tu entres en jeu à ce moment-là. Ta vie, ton histoire matrimoniale, va servir de leçon à Israël. Sur l’ordre du Seigneur (Os [Osée] 1, 1-9), tu épouses une prostituée, Gomer. Avec elle tu as trois enfants à qui Dieu te demande de donner des noms symboliques : un garçon, Izréel, pour rappeler le lieu où l’usurpateur Jéhu a massacré la famille de son prédécesseur ; une fille, Lo-Rouhama c’est-à-dire Non-aimée, et enfin un garçon, Lo-Ammi, c’est-à-dire Pas mon peuple. Par toute cette symbolique, le Seigneur veut faire savoir au peuple qu’il réprouve sa conduite et semble le rejeter. Le Seigneur met dans ta bouche les vifs reproches qu’il fait à Israël (Os 2, 4-15) en continuant la comparaison de la prostitution : « Faites un procès à votre mère, …car elle n’est pas ma femme, et moi, je ne suis pas son mari. Qu’elle éloigne de son visage les signes de sa prostitution, et d’entre ses seins les marques de son adultère. Sinon je la déshabillerai et la mettrai nue, je la mettrai comme au jour de sa naissance, je la rendrai semblable au désert, j’en ferai une terre desséchée… Ses enfants, je ne les aimerai pas, car ce sont des enfants de la prostitution. Oui, leur mère s’est prostituée, celle qui les a conçus s’est couverte de honte … » Avoue, mon cher Osée, qu’on aurait quelque mal à lire un tel texte dans une église ou dans un temple !

    La restauration

    Mais, chose extraordinaire, brusquement le ton change. On ne sait plus si c’est toi qui parles ou le Seigneur lui-même (Os 2, 16-25). Tu veux tout recommencer avec ta fiancée, repartir à neuf, l’épouser à nouveau. Tu la conduis au désert, tu lui promets une alliance pleine de paix et d’harmonie avec le monde entier. Autant j’ai hésité à l’instant à citer tes mots de reproches, autant j’ai plaisir à rapporter les paroles magnifiques que tu adresses à cette femme qui symbolise Israël : « Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur… et là, elle répondra comme au temps de sa jeunesse… Je conclurai en ce jour-là une alliance avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, les reptiles du sol ; l’arc, l’épée de guerre, je les briserai, et il n’y en aura plus dans le pays… Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse. Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur… J’ensemencerai Izréel pour moi dans le pays, et j’aimerai Lo-Rouhama, et je dirai à Lo-Ammi : ‘Tu es mon peuple’, et lui, il dira : ‘Mon Dieu’ ». Quel renversement de tendance, dirait-on aujourd’hui !

    Tu développes les accusations de Dieu contre Israël (Os 4, 1 à 14, 1)

    Après cette histoire symbolique, tu vas tout reprendre « en vrai » : les accusations comme la restauration. Au niveau des accusations, tout y passe. Au nom de Dieu, tu dénonces l’inconduite des prêtres qui entraîne le peuple dans le péché. Tu montres du doigt l’injustice de la maison royale. Du déplores la guerre fratricide entre les royaumes d’Israël et de Juda. Dans la maison d’Israël, tout n’est qu’infidélités et trahisons, conspiration et ingratitude. Tu t’attaques à l’idolâtrie qui s’installe à Samarie et à l’incohérence de la politique étrangère. Juda n’échappe pas non plus à tes critiques acerbes. Au fond, pour toi, tout au long de son histoire, Israël n’a cessé d’être infidèle à ce Dieu qui l’a pourtant toujours aimé mais qui est déçu de tant d’ingratitude. Tu n’hésites pas à critiquer l’ancêtre Jacob lui-même (Os 12, 1-15).

    Tu annonces la restauration

    Cependant, progressivement, le ton change, et le cœur de Dieu transparaît dans les paroles qu’il prononce par ta bouche (Os 11, 8-9) : « Mon cœur est bouleversé en moi… Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère…car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis saint. » et il annonce la restauration d’Israël (Os 14, 5-8) : « Je les guérirai de leur apostasie, je les aimerai avec générosité : ma colère s’est détournée de lui, je serai pour Israël comme la rosée, il fleurira comme le lis, et enfoncera ses racines comme la forêt du Liban, ses rejetons s’étendront, sa splendeur sera comme celle de l’olivier, son parfum comme celui du Liban ; il reviendront, ceux qui habitent à l’ombre, ils feront revivre le blé, ils fleuriront comme la vigne, et on en parlera comme le vin du Liban. »

    L’amour fou de Dieu : un amour sauveur

    Est-ce que je n’avais pas raison quand, au début de ma lettre, je te disais que tout est folie dans ton histoire … et dans l’histoire de Dieu. Folie de ton amour pour Gomer, image de l’amour fou de Dieu pour son peuple ! Notre monde est-il en mesure d’entendre ton message : continuer à aimer malgré l’infidélité ; croire que cet amour fou, c’est tout ce qui reste pour sauver une relation, à dimension humaine, irrémédiablement détruite. Mon cher Osée, tu annonces sans le savoir un autre coup de folie de Dieu, celui-là définitif : la folie de la croix de Jésus Christ.

    Permets-moi de terminer ma lettre par une note toute personnelle et authentique. Je veux rendre hommage à mon professeur de philosophie qui m’a fait entrer, par toi, pour la première fois, dans la Bible. Auprès de Dieu, remercie cet homme, ce prêtre, dont les derniers mots, mots de folie à notre mesure humaine, mots d’amour de toute une vie : « Oui, vraiment, Christ est ressuscité ! »

    Joseph CHESSERON