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  • (Luc 15, 11-32)

    Parmi les Paraboles de l’Evangile, celle du fils perdu et retrouvé est certainement une des plus connues. Elle est habituellement appelée la parabole de l’Enfant Prodigue. Nous proposons d’abord au lecteur le texte de la parabole, puis nous l’invitons à regarder la reproduction du célèbre tableau de Rembrandt. Observons attentivement les mains du père et comparons-les. Enfin, nous proposons à la réflexion quelques textes de l’Ancien Testament qui ont des résonances avec cette parabole.

    11 Il dit encore : " Un homme avait deux fils. 12 " Le plus jeune dit à son père : "Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. " Et le père leur partagea son avoir. " 13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une vie de désordre. 14 Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans l’indigence. 15 Il alla se mettre au service d’un des citoyens de ce pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. 16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait. 17 " Rentrant alors en lui-même, il se dit : "Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim ! " 18 Je vais aller vers mon père et je lui dirai : Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. 19 " Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers. " 20 Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. 21 " Le fils lui dit : "Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils... " 22 " Mais le père dit à ses serviteurs : "Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. " 23 Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24 " car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. " Et ils se mirent à festoyer.
    25 Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha de la maison, il entendit de la musique et des danses. 26 Appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était. 27 " Celui-ci lui dit : "C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras parce qu’il l’a vu revenir en bonne santé." 28 Alors il se mit en colère et il ne voulait pas entrer. Son père sortit pour l’en prier ; 29 " mais il répliqua à son père : "Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres ; et, à moi, tu n’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. " 30 " Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui ! " 31 " Alors le père lui dit : "Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. " 32 " Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé. "

    La contemplation du tableau de Rembrandt et en particulier la comparaison des deux mains du père nous amène à nous interroger sur notre représentation de Dieu. Pour nous éclairer, voici donc quelques textes de l’Ancien Testament :

    Nombres 11, 12 (Moïse se plaint à Dieu du fardeau trop lourd que représente pour lui ce peuple rebelle) :
    "Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple ? Moi qui l’ai mis au monde ? Pour que tu dises : ’Porte-le sur ton cœur comme une nourrice porte un petit enfant jusqu’au pays que tu as promis à ses pères ?’ ’’Dieu mère autant que père ?

    Isaïe 49, 14-15 : Sion disait : "le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée :" La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi je ne t’oublierai pas"

    Ezéchiel 34, 15-16 : C’est moi qui ferai paître mon troupeau, c’est moi qui ferai coucher les bêtes – déclaration du Seigneur Dieu. Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je panserai celle qui est blessée et je ferai reprendre des forces à celle qui est malade…

    Psaume 103, 8-14 : Le Seigneur est compatissant et clément, patient et grand par sa fidélité ; il n’accuse pas sans cesse, il ne garde pas rancune pour toujours ; il ne nous traite pas selon nos péchés, il ne nous rend pas selon nos fautes. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant sa fidélité est forte au-dessus de ceux qui le craignent ; autant l’orient est éloigné de l’occident, autant il éloigne de nous nos transgressions. Comme un père a compassion de ses fils, le Seigneur a compassion de ceux qui le craignent. Car lui, il sait de quoi nous sommes formés, il se souvient que nous sommes poussière.

    La lecture de tels textes de l’Ancien Testament devrait détruire définitivement l’idée que certains se font encore du Dieu de l’Ancien Testament , sévère et dur, à l’opposé du Dieu du Nouveau Testament, le Dieu de Jésus, le Dieu de miséricorde. Et nous, aujourd’hui, quelle image avons-nous de Dieu, quelle relation entretenons-nous avec lui ? Un Dieu loin de nous et qui n’a rien à faire avec notre histoire ? Un Dieu gendarme qui se plairait à nous punir ? Ou un Dieu d’infinie tendresse qui n’attend qu’une chose : le retour de ses enfants ?

    Parabole du fils perdu et retrouvé

    Nous revenons à la parabole de l’enfant perdu et retrouvé. Il faut nous souvenir que cette parabole et les deux qui précèdent (la brebis et la pièce retrouvées), sont une réponse aux critiques des pharisiens et des scribes à l’égard de Jésus (15, 1-2) : « Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ». Regardons cette histoire de plus près.

    Un père bonne pâte… et un peu fou.

    Qui d’entre nous, après avoir entendu cette parabole, ne s’est pas dit en lui-même : « Ce père est un peu fou ! » ? Il accepte sans mot dire les exigences de son impertinent de fils cadet ; il fait la fête à son retour sans tenir compte de ses écarts de conduite ; il semble ne pas comprendre la colère justifiée de son fils aîné. Car c’est bien ainsi que nous fonctionnons dans nos têtes. La faute mérite punition, sinon c’est la porte ouverte à toutes les dérives. De même, les « gens bien » doivent être reconnus comme tels et récompensés, surtout quand il s’agit de faire fonctionner l’économie, sinon c’est la porte ouverte à la paresse et au laisser-aller. Ce père est dangereux pour le bon fonctionnement de la société. Passe encore qu’il pardonne à son voyou de fils, mais de là à faire la fête pour lui, il pousse le bouchon un peu loin. Et Jésus lui-même, en nous proposant cette parabole, est dangereux. C’est bien ainsi que ses ennemis l’ont jugé, sinon ils ne l’auraient pas fait mourir.

    Un fils cadet fêtard… et penaud.

    Car enfin le laxisme du père à l’égard du fils cadet dépasse les bornes. Ce jeune vaurien a l’audace de demander sa part d’héritage à son père. Il aurait pu attendre que son père soit mort ! Il réunit toutes les « qualités » : effronterie, gaspillage, débauche. Bel exemple pour la jeunesse ! Tant pis pour lui s’il est amené à garder des porcs ! Le voilà mis plus bas que l’animal impur par excellence. Même pas le droit de manger leur nourriture ! Et que vaut son « repentir » ? Ne serait-ce pas le repentir du ventre ? Pendant ses folles nuits de débauche, son vieux lui importait peu. Maintenant, il veut revenir vers son père d’abord pour avoir à « bouffer ». Non décidément, tourner la page sans autre forme de procès, et en plus, faire le fête pour son retour, ça remet en cause les fondements mêmes de notre société.

    Un fils aîné soumis… et rebelle.

    En voilà un au moins dont on peut mettre les qualités en avant. Il est travailleur et sert son père fidèlement : il n’a jamais désobéi à ses ordres. Il connaît l’inconduite de son frère et se garde bien d’en faire autant. Comme tous les jeunes, il aurait bien aimé faire la fête, mais, par respect pour son père, il ne lui a jamais rien demandé. C’est avec des gens comme lui que l’on construit une société solide : chacun à sa place, respectant l’ordre, la loi et la morale.
    Alors, comme on comprend son explosion de colère ! N’en ferait-on pas autant si cela nous arrivait dans nos familles ? Reconnaissons-le : les questions d’héritage sont souvent source de conflits familiaux et on n’aime pas trop les vilains petits canards qui viennent troubler la belle ordonnance des choses et des cartes bien distribuées !
    Et justement, ne sont-elles pas trop bien distribuées ? Et si on acceptait de rebrasser les cartes et de redonner le jeu autrement ?. En d’autres termes, nous sommes invités à regarder la situation sous un autre jour, avec d’autres lunettes que nos lunettes habituelles.

    Un père.

    Jésus nous propose un autre modèle de père, qui ne situe pas dans le passé, un passé qui est mort définitivement, mais dans le présent et l’avenir, là où se joue la vie. En tant que père, c’est-à-dire celui qui donne la vie, une seule chose compte pour lui : son fils qui était perdu est retrouvé, celui qu’on croyait mort est vivant. Il laisse éclater au grand jour, devant tous, ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un père et non un justicier.
    Et c’est bien ce qu’il veut faire comprendre à l’aîné. Celui-ci, dans sa colère, laisse apparaître son vrai visage. Son père n’est plus son père : c’est un maître auquel on se soumet. Son frère n’est plus son frère : « ton fils… ».Ce sont ces relations que le père veut rétablir par les simples mots : « mon enfant… ton frère…  ». Et, en répétant «  il était mort, il est revenu à la vie ; il était perdu, il est retrouvé  », il prend à nouveau le parti de la vie contre la mort.

    L’image du Dieu de Jésus Christ

    Rappelons ce que nous avons dit en commençant : Jésus raconte ces trois paraboles pour répondre à la critique des pharisiens à son égard : il accueille des exclus. C’est donc à travers une situation humaine que Jésus nous donne l’image de Dieu son Père. Dans tout ce chapitre 15 de l’Evangile selon Luc, on ne trouve pas une seule fois le mot ‘Dieu’, mais nous comprenons bien que c’est de lui qu’il est question. Nous enfermons trop souvent Dieu dans nos lieux de culte, alors que c’est dans le concret de nos relations humaines que se juge la qualité de notre relation à Dieu et, à travers elle, l’image que nous nous donnons de lui.
    Quelle image le père de la parabole donne-t-il de Dieu ? Il ne veut pas la mort du pécheur : il veut qu’il vive ; personne ne peut mettre de limites à l’amour du Dieu de Jésus Christ ; il souffre quand ses enfants ne se reconnaissent plus comme frères ; il invite à la fête quand ceux qui se sont égarés retrouvent le chemin de la maison.
    Nous avons à ‘convertir’ en nous l’image de Dieu. Mais attention ! ce chemin est plein de risques. Finie l’exclusion de celui qui est tombé ! Finie la sécheresse du cœur ! Un Dieu enfermé dans une église ne dérange pas grand monde. Mais il nous bouscule, ce Dieu devenu solidaire de l’histoire des hommes (dans la Bible, on appelle ça l’Alliance), ce Dieu du Magnificat : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides. » Si c’est en ce Dieu que nous croyons, nous sommes engagés dans le même combat que Jésus : « Le fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu . » (Lc 19, 11). C’est bien un monde nouveau qui s’ouvre devant nous, le monde du Père prodigue !.
    Joseph CHESSERON