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  • Homélie de Mgr Albert Rouet du 09/12/2010 au Carmel à l’occasion de le bénédiction du vitrail de la chapelle

    CEREMONIE DE BENEDICTION DU VITRAIL DU CARMEL DE BESSINES
    9 Décembre 2010
     

    au cours de l’Eucharistie présidée par Monseigneur Albert Rouet, archevêque de Poitiers,

    en présence du Frère David, Abbé d’En-Calcat qui a créé ce vitrail.

    Homélie de Mgr Albert Rouet

    EVANGILE SELON ST- MATTHIEU 11, 11-15

     
     Il y a de l'étrange dans cette page d'Evangile. Elle a intrigué les commentateurs, au point d’être probablement un des versets de l'Evangile de Matthieu les plus commentés, scrutés, travaillés. Ce qui surprend d'ailleurs dans la quasi-totalité des commentaires, est l'impasse opérée sur un point tout à fait important.
     
     Il est donc question d'abord d'Elie dont tout le monde attendait le retour en signe de l'arrivée du Messie. Elie devait revenir puisque il était monté au ciel. Le Christfinalement affirme qu'Elie est revenu. Par conséquent, les temps messianiques peuvent commencer puisque, le nouvel Elie, il l'indique comme étant Jean-Baptiste.
     
     Alors, à partir de l'exemple et d'Elie et de Jean, on peut penser à la violence, et celle à laquelle les chrétiens sont encore malheureusement exposés, le dédain, les persécutions, les emprisonnements et même la mort. Nous sommes très enclins aujourd'hui à rejeter sur d'autres que nous ce qui arrive à nos frères d'Irak, d'Iran et d'ailleurs. Pourtant la violence reste quand même plus complexe que la simple désignation d’un coupable. De toute façon, le coupable c'est toujours l'autre : cela nous dédouane.
    De fait, Elie a souffert de persécution, il a été condamné à mort ; de fait, Jean-Baptiste a été tué ; mais quand on fait cette analyse, tout à fait juste dans l’ordre de la politique, de l'histoire, ou de la sociologie, on évite un courant important de l'évangile de St-Mathieu. Certes la violence est présente dans beaucoup de royaumes. Sa présence explique pourquoi il y a des pages et des pages sur les violences externes, celle d'Hérode et des Saints Innocents, celle du petit Hérode tuant Jean-Baptiste. Mais on fait ainsi l'impasse sur la violence interne à la vie religieuse.
     
     
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     Aujourd'hui, les croyants, donc nous aussi, nous sommes suspectés d'être source de violence : les monothéismes, parce qu'ils réduisent Dieu à l'Unique, pense-t-on, seraient source de violence parce que source d'intolérance.
     
     On voit, dans l'évangile de Matthieu les différents groupes religieux, les Sadducéens, les Pharisiens les Hérodiens, les Scribes s'acharner les uns après les autres, ou en des alliances étranges, prendre le Christ au piège, pour le mettre en défaut. Finalement, ils arriveront à le tuer ; car le Christ est mort sous le coup des bien-pensants.
     
     Il suffit, en transposant, de lire aujourd'hui la haine qui s'exprime sur des sites internet incontrôlés, incontrôlables et inconscients, pour s'apercevoir que la violence religieuse arrive à se glisser toujours au sein de même de l'exercicede la foi.
    Pensez par exemple à des faits tout-à-fait actuels et qui devraient nous alerter : l'étrange fascination dans l'éducation des adolescents, pour le héros qui enflamme et qui est capable aussi des pires excès ; pensez à ces directeurs spirituels d'une intransigeance écrasante ; pensez aussi à ces façons dont on peut plier au pouvoir quelqu'unde fragile à la manière dont sont imposées des séries d'impositions morales, certes légitimes, mais qui tombent sur la tête des fidèles sans qu'ils n'y puissent rien. Pensez aussi au fait qu'autour de nous des gens se rebiffent et ne veulent pas de cette violence, violence spirituelle excessive, violence morale non expliquée, violence dans les conflits, par la sacralisation d'une forme de prêtres qui auraient sur les fidèles tout pouvoir.
    Elle est là cette violence. Le pire est qu'au lieu de la reconnaître très clairement, on s’enfonce toujours dans la fameuse impasse de la rejeter vers l’extérieur.
    Les déviances psychologiques nous cachent ces formes de brutalité, d’autant mieux qu’elles sont accomplies au nom de Dieu (Jn 16,2). Combien de familles bourgeoises aiment le prêtre, fort, viril et conquérant ? Combien d'éducateurs de jeunes s'emparent de ce modèle au nom d'exigences, pures bien sûr, mais tellement troubles dans leur source ? Il s’agit en réalité de « s’emparer », comme Eve du fruit.
     
     Est-ce qu'un jour ou l'autre on ne va pas se rendre compte qu'on joue là avec Dieu. et qu'on est en train d'asservir Dieu à des volontés de puissance toute humaine, à des angoisses de pureté inaccessible, analogues à celles que l'on mettait dans les tombeaux des Pharaons de la vieille Egypte..."Je suis pur, je suis pur, je suis pur ».
    Est-ce qu'on va arriver à dédouaner la foi de la violence ? 
     
     Car depuis le temps de Jean jusqu'à présent, le royaume de Dieu subit la violence, et au nom de Dieu on s'empare des autres ; on légitime une sacralité du prêtre, on légitime des exercices spirituels psychologiquement déviants, on légitime des excès, et comme c'est au nom de Dieu, tout paraît possible, tout paraît permis. Enfin ! La raison de tout cela ne justifie pas les actes eux-mêmes, encore moins les moyens pris pour les accomplir. Quand est-ce que nous, catholiques, nous arriverons à nous défaire de cette image faussement paternelle du chef tout-puissant ?
     
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     C'est ce que demande Matthieu ; car si nous ne sommes pas au clair avec notre violence, comment pourrons-nous diriger les autres : nous sommes des aveugles conduisant des aveugles.
    Si nous ne sommes pas au clair avec nos représentations de Dieu, comment pourrions-nous attendre Noël ; car le rejet du Christ y trouve c'est là sa source.
    Si vous avez en tête cette violence sacrée, cette violence des images d'un chef tout puissant et quelque peu barbare, que vous projetez sur Dieu et dont vous vous emparez pour soutenir votre propre place, il est clair que vous passez à côté de Noël.
    Comment reconnaître Dieu dans l'enfant, misérable et abandonné ? Les invectives sont toutes prêtes, si vous dites cela : "Vous n'avez pas la foi au Fils de Dieu"...
    C'est précisément parce qu'il est le Fils de Dieu qu'il est libre par rapport à la puissance et qu'il peut naître dans la fragilité. C'est précisément parce qu'il est le Fils du Tout-puissant que, comme le dit le Livre de la Sagesse, il peut maîtriser sa puissance elle-même. La puissance de Dieu n'a jamais été l'exaltation de son ego, et cela change tout, y compris la manière de comprendre la hiérarchie ecclésiastique, qui part de Noël et passe par la foi, et non pas par les palais, les temples et les empires.
     
     Cela change tout dans notre manière d'imaginer Dieu, non pas comme un médicament suprême ou un parapluie total, mais comme l'ami aux mains nues qui nous accompagne.
    Cela change tout dans notre manière de commander, car l'on ne commande pas à la liberté dans la foi, cela change tout dans notre manière d'être liés les uns aux autres.
    Ne soyons pas dupes : les quelques conflits un peu ridicules que nous connaissons dans notre Eglise ont un enjeu très sérieux, celui du pouvoir des uns sur les autres, celui d'imposer des représentations aux autres et de commander à la symbolique des autres, donc de s'emparer de leur intérieur.
     
     Si l'on veut arriver à Noël, Matthieu a raison de nous prévenir : il faut changer de logique, changer la logique du chef : « Ne vous faites pas appeler "Père",n'appelez personne "Père", n'appelez personne "Docteur", car vous êtes tous frères » (Mt 22, 8-9).
    Voilà que l'exigence du Christ nous permet de comprendre qui est Dieu, et ce que nous avons à être les uns pour les autres.
     
     Nous n'avons pas à nous emparer du royaume de Dieu, il n'est pas un Pérou à conquérir, ni un gros lot à rafler, IL EST LA GRÂCE.
     
     Seulement, avançons vers Noël.
     Saurons-nous entrer dans la lumière de la grâce, la lumière qui nous est donnée, comme le vitrail ?
     
     t Albert Rouet
    Archevêque de Poitiers
     
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