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  • Jésus se lavait-il les pieds ?
    La question n’est peut-être pas aussi triviale qu’il y paraît.

    Dans l’ancienne Palestine, on se déplaçait et voyageait, la plupart du temps, à pied. Seuls les puis­sants et les militaires pos­sédaient une monture.
    A Rome, les haut gradés, de rang équestre (les « che­valiers » romains), avaient le droit et les moyens de monter un cheval, animal guerrier par excellence.
    De même, Pharaon et ses officiers conduisaient un char tiré par des chevaux (voir le passage de la mer des joncs). On annonça au roi d’Egypte que le peuple avait pris la fuite. Le Pharaon et ses serviteurs changèrent d’idée au sujet du peuple et ils dirent : « Qu’avons-nous fait là ? Nous avons laissé Israël quitter notre service ! » Il attela son char et prit son peuple avec lui. Il prit six cents chars d’élite, et tous les chars d’Egypte, chacun avec des écuyers. Le SEIGNEUR en­durcit le cœur du Pharaon, roi d’Egypte, qui poursuivit les fils d’Israël, ces fils d’Israël qui sortaient la main haute. Les Egyptiens les poursuivirent et les rattrapèrent comme ils cam­paient au bord de la mer – tous les attelages du Pharaon, ses cavaliers et ses forces – près de Pi-Hahiroth, de­vant Baal-Cefôn. (Ex 14, 5-8-9)

    Les monarques, en tant qu’ils se veulent por­teurs de paix, montent un âne ou une mule. Le roi David dit alors : « Appelez-moi le prêtre Sadoq, le prophète Natan et Benayahou, fils de Yehoyada ! » Ils vinrent devant le roi. Il leur dit : « Prenez avec vous les serviteurs de votre maître, vous mettrez mon fils Salomon sur ma propre mule et vous le ferez descendre à Guihôn.(1 Rois 1, 32-33)

    Le roi messianique viendra sur une mule (cf. Gn 49, 11). Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s’avance vers toi ; il est juste et victo­rieux, humble, monté sur un âne – sur un ânon tout jeune. (Za 9, 9) C’est la lecture que font les évangiles de l’entrée de Jésus à Jérusalem (Mt 21, 1-11). C’est là la reconnaissance de Jésus comme roi.

    La poussière, c’est la terre caractéristique d’un lieu. Une attitude de mépris ou de renoncement consiste à essuyer la pous­sière de ses chaussures ou de ses pieds. Cela signifie qu’on ne veut plus avoir affaire avec un lieu et ses habitants. Si l’on ne vous accueille pas et si l’on n’écoute pas vos paroles, en quittant cette maison ou cette ville, secouez la poussière de vos pieds. En vérité, je vous le déclare : au jour du juge­ment, le pays de Sodome et de Go­morrhe sera traité avec moins de rigueur que cette ville. (Mt 10,14-15). La parole du Seigneur gagnait toute la contrée. Mais les Juifs jetèrent l’agitation parmi les femmes de haut rang qui adoraient Dieu ainsi que parmi les notables de la ville ; ils provo­quèrent une persécution contre Paul et Barnabas et les chassèrent de leur territoire. Ceux-ci, ayant secoué contre eux la poussière de leurs pieds, gagnèrent Iconium ; quant aux dis­ciples, ils restaient remplis de joie et d’Esprit Saint. (Act 13, 49-51)

    Le « bon Samaritain » était un homme riche qui avait une monture (Luc 10, 34). Il n’avait donc au­cune raison de des­cendre pour prendre en charge l’homme roué de coups et dépouillé. Ils n’étaient sûrement pas de la même classe so­ciale ! Pourquoi se salirait-il les pieds en se penchant sur l’homme meurtri ? Le Samaritain relève l’homme à terre, l’arrache à la mort en le hissant sur sa monture. Par ce geste il reconnaît l’homme comme à égale dignité que lui, comme son prochain, puisqu’il s’en fait proche.

    Les petites gens se « contentaient » de leurs pieds, les plus riches cependant avaient des sandales, ce qui rendaient les aspé­rités du chemin moins ru­gueuses. Cependant, la route était fatigante pour les hommes et pour leurs pieds. Après avoir parcouru la Galilée de long en large pour annoncer la Bonne Nouvelle, Jésus est ses disciples devaient s’arrêter, tous les soirs, à une fontaine ou au bord du Jourdain pour y dé­lasser leurs pieds. Rien de plus agréable et reposant que de les laver dans l’eau fraîche, voire même de les parfumer. Mais le moins qu’on puisse dire est que cette tâche n’a rien de très noble. Au sens strict, c’est une tâche servile, à telle enseigne que c’est le travail d’un esclave. Néanmoins, il demeurait un geste de bon accueil du voyageur ou sim­plement de l’hôte qui arrivait, alors qu’il était invi­té à un repas. Il faut dire qu’on prenait ses repas al­longés, dans les bonnes maisons, et qu’il importait d’avoir les pieds propres. Dans l’Evangile de Matthieu, Jean-Baptiste, le dernier des prophètes, montre qu’il n’est pas à la hau­teur de Jésus, le Messie, en disant... « Moi, je vous baptise dans l’eau en vue de la conversion ; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi : je ne suis pas digne de lui ôter ses sandales ; lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. (Mt 3, 11).

    Une fois, Jésus est invité par Simon, un pharisien de bonne foi, qui a pignon sur rue (Lc 7, 36-48). Dès son arrivée, Jésus passe à table. Une pécheresse vient interrompre le repas.
    Un Pharisien l’invita (Jésus ) à manger avec lui ; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Sur­vint une femme de la ville qui était pécheresse ; elle avait appris qu’il était à table dans la maison du Phari­sien. Apportant un flacon de parfum en albâtre et se plaçant par-derrière, tout en pleurs, aux pieds de Jésus, elle se mit à baigner ses pieds de larmes ; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répan­dait sur eux du parfum. Voyant cela, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : « Si cet homme était un pro­phète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » Jé­sus... dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison : tu ne m’as pas ver­sé d’eau sur les pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. Si je te déclare que ses pé­chés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. » Il dit à la femme : « Tes péchés ont été pardon­nés. »

    Le pharisien ne réagit pas devant l’humiliation de la femme dans cette tâche subalterne, mais devant l’impureté de cette dernière, qu’un prophète, tel qu’il imagine Jésus, devrait connaître. Jésus devrait refuser tout contact avec cette femme ! Mais Jésus dépasse l’idée que se fait Simon d’un prophète. Il comprend le sens profond de l’attitude de la femme. Alors que Simon n’a même pas accompli les de­voirs d’accueil : baiser d’amitié, lavement des pieds ; la femme est allée bien au delà. La simple politesse a été dépassée puisque la femme baise les pieds de Jésus, sur lesquels elle répand un précieux parfum. L’extrême politesse s’est transformée, ici, en acte d’amour et de vénération.

    Au soir du dernier repas avec ses disciples, Jésus leur livre son testament. Et pour cela il leur lave les pieds !
    Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue, l’heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême. Au cours d’un repas, … Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint...Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ? Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Sei­gneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. En vérité, en vérité, je vous le dis, un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. » (Jo 13, 1-16) Jésus, comme la pécheresse, donne un autre sens au lavement des pieds, qui est geste de politesse, mais « pendant » un repas. L’incongruité du moment donne à penser que Jésus veut dépasser le sens or­dinaire de ce rite social. Ce geste d’un esclave de­vient celui du Maître, c’est à dire de celui que les dis­ciples du Christ doivent suivre. Aimer, c’est se mettre au service des autres. Jésus lui-même donne le sens de son action. Le titre du pape n’est pas celui de prince ou de roi, mais de « serviteur des servi­teurs de Dieu » !

    Cette histoire de pieds nous montre...
    - que le service, loin d’être humiliant, lorsqu’il est librement choisi, est preuve d’amour ;
    - que Dieu n’est pas un potentat tout puissant mais un Dieu humble.

    Qui donc est Dieu, pour se lier d’amour à part égale
    Qui donc est Dieu, s’il faut pour le trouver un cœur de pauvre
    Qui donc est Dieu, pour nous aimer ainsi ?

    Alain