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  • Lettres aux femmes sombres de la Bible

    Sans doute serez-vous surprises que, pour un bref instant, je vous sorte de l’oubli et de l’opprobre où le texte sacré vous a plongées. Je vous appelle ‘femmes sombres’ et non ‘mauvaises femmes’ car qui suis-je pour me substituer à Dieu en portant un jugement sur vous ? Lui seul peut juger nos actes, les vôtres comme les miens. Je veux simplement me faire l’écho de ce que la Bible dit de vous. Or, à mon grand étonnement, vous êtes peu nombreuses à y être montrées du doigt. Bethsabée à qui j’ai écrit récemment n’est pas dénoncée comme séductrice ; le coupable désigné, c’est David. Ce n’est que plus tard qu’elle sera présentée comme une reine-mère intrigante. Hormis toi, Dalila, et surtout toi, Jézabel, je n’en vois guère d’autres. Qui a dit que la Bible était misogyne, en prétendant que, d’après le texte sacré, tout le mal viendrait de la femme ?

    Bonjour, Dalila,

    Ton histoire est racontée dans un court passage du livre des Juges (Jg 16, 4-21). En ce temps-là, d’après le récit biblique, le peuple d’Israël a fort à faire avec ses voisins. Ces gens n’ont pas été éliminés comme semblerait le laisser croire le livre de Josué. Les différentes peuplades cananéennes sont toujours là. Mais le principal adversaire reste bien ton peuple, les Philistins, installés principalement au bord de la mer. Ils sont une menace permanente pour Israël.

    Arrive en scène un étrange personnage, Samson, paillard, batailleur, dont la force surhumaine provoque la terreur chez les tiens. Ils se demandent bien d’où lui vient cette force. Cependant, ils ont remarqué son penchant prononcé pour le beau sexe. Comme il est tombé amoureux de toi, les Philistins ont décidé de t’utiliser, contre argent, pour lui faire dire d’où peut bien lui venir sa puissance.

    Tu séduis Samson.

    Tu déploies donc toute ta force de séduction. Dans vos moments d’intimité, tu l’invites à te dévoiler son secret. Par trois fois, il te mène en bateau ; il prétend que, pour lui faire perdre sa force, il faut le lier avec des nerfs frais, ou des cordes neuves ou bien encore tisser les sept tresses de sa tête avec du tissu, mais à chaque fois il se débarrasse des Philistins que tu as appelés à la rescousse. Ce qui est étonnant dans ce récit, c’est la grande naïveté de Samson : il ne voit pas que tu as été mise à ses côtés pour le trahir ! … Amour, amour, quand tu nous tiens…

    Enfin, de guerre lasse, il finit par te parler à cœur ouvert et toi, tu l’as tout de suite compris : il suffit de lui raser les cheveux qu’il n’a jamais coupés, puisqu’il est consacré à Dieu. On connaît la suite : tu réussis à l’endormir, les Philistins interviennent, lui coupent les cheveux et il perd sa force immédiatement. Ils l’enchaînent, lui crèvent les yeux et font de lui un jouet pour la foule. On sait comment il finit. Sa force revenue avec la repousse de sa chevelure, il fait s’écrouler sur lui et sur les Philistins un temple où ils s’étaient réunis pour célébrer leur dieu qui les aurait délivré de leur ennemi.

    A partir de ce moment, on ne parle plus de toi. Tu resteras à jamais le modèle de l’enjôleuse qui se fait payer pour soutirer à l’ennemi, sur l’oreiller, des secrets stratégiques, en quelque sorte une Mata Hari des temps anciens… Sur ce point, les temps n’ont point changé !!!

    Bonjour Jézabel,

    Toi aussi, tu es une étrangère. Ton histoire et celle de ton mari Achab, roi d’Israël, est racontée au 1er livre des Rois, à partir du chapitre 16, et se termine dans l’horreur à la fin du chapitre 9 du 2ème livre des Rois.

    Tu introduis le dieu Baal en Israël

    Certains pensent que l’apogée du Royaume du Nord se trouve pendant le règne d’Achab. Il entretient des relations avec les roitelets de la région. Tu en es la manifestation, puisque toi, la fille du roi des Sidoniens, tu lui as été donnée comme femme. Mais tu as une mauvaise influence sur lui. Tout d’abord, comme les femmes de Salomon (1R 11, 1-13), tu introduis à Samarie le dieu de ton pays : Baal, et tu incites ton mari à l’adorer. Le prophète Elie se dresse contre toi, reprochant au roi et au peuple de « sauter d’un pied sur l’autre » (1R 18, 21), de s’adresser à Baal tout en continuant à rendre un culte au Seigneur. C’est la grande scène (1 R 18, 20-40) des deux sacrifices organisée par le prophète Elie pour montrer que seul le Seigneur est Dieu, et qui se termine par le massacre de tes prophètes à toi. On comprend que tu lui en veuilles à mort et qu’il s’en aille loin de toi, pour fuir ta colère, vers le mont Horeb (1R 19, 9-18), pour venir de nouveau t’affronter après avoir été réconforté par Dieu.

    La vigne de Naboth (1R 21, 1-29)

    Fait divers minable, aux conséquences immenses, que cette histoire de la vigne de Naboth, mais révélateur de ton incompréhension totale du peuple d’Israël. Ton mari veut acheter à Naboth une vigne pour agrandir son potager. Naboth rappelle le droit ancien qui lui interdit d’aliéner un bien qu’il a reçu de la part du Seigneur. Achab en est chagriné, mais toi l’étrangère, tu te moques bien du droit d’Israël. Tu reproches à ton mari de ne pas agir en roi en imposant sa volonté, fût-elle injuste. Tu n’as pas compris qu’en Israël il n’y a qu’un roi, le Seigneur Dieu ; l’homme désigné comme tel ne l’est que par procuration. Tu organises donc un complot contre Naboth, avec de faux témoins qui l’accusent d’avoir maudit Dieu et le roi. On le condamne à être lapidé.

    C’est là qu’Elie vient se dresser sur ta route. Parce que tu as commis une injustice appuyée sur le mensonge et que la roi a été ton complice, il lance contre vous deux une terrible malédiction : pour le roi, les chiens lécheront son sang ; pour toi, le chiens te dévoreront. De fait c’est ce qui va se passer. Achab sera tué lors d’une bataille (1R 22, 29-38). Quant à toi, celui qui aura fait tomber la dynastie d’Achab, l’usurpateur Jéhu, il te fera défénestrer (2R 9, 30-37). On ne retrouvera de toi que quelques ossements.

    Pourquoi raconter ta sombre histoire ?

    En fait, ceux qui ont raconté ton histoire ne l’ont pas fait pour se complaire dans le scabreux ou le morbide. Ils savent que l’histoire humaine est faite d’ombres et de lumières. Ils ne cherchent pas à cacher les bassesses humaines en composant un livre édifiant. Nous constatons, une fois de plus, que c’est à travers cette humanité bien réelle, que le projet de Dieu fait son chemin. Les auteurs bibliques attribuent à Dieu la décision de faire mourir ou de faire vivre. Il faudra beaucoup de temps pour comprendre que telle n’est pas la manière d’agir de Dieu : il laisse leur autonomie aux réalités humaines, y compris dans leurs aspects les plus sombres, comme ce fut le cas pour toi.

    Joseph CHESSERON

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