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  • La Laïcité, ce drôle de mot…3ème partie : les enjeux - par le Padre Ducourneau

    La Laïcité, ce drôle de mot…

    3ème partie : les enjeux

    Le mois dernier, j’invitais chacun, à travers la lecture de la deuxième partie de mon exposé sur la laïcité, à comprendre comment la loi de la séparation des Eglises et de l’Etat avait marqué notre pays, jusque dans la pensée personnelle de chacun. Il nous reste à voir quels sont les enjeux, pour
    aujourd’hui avec, notamment l’arrivée de l’Islam, de cette loi, entrée dans les moeurs de notre pays comme celle qui a tenté de reléguer la foi « dans la sphère privée » (sic).

    Cette sphère privée n’existe pas, car si l’on en croit un ancien ministre de l’Intérieur du président Mitterrand, les choses sont claires : « Cette loi, tout en précisant que la République ne reconnait ni ne salarie aucun culte, ne veut pas créer un vide juridique ou mettre les cultes hors la loi : elle organise
    au contraire leur liberté, la non-reconnaissance ne signifiant pas l’ignorance ni l’absence de relations et de collaboration entre autorités civiles et institutions religieuses, mais délimitation des domaines propres à chacun. Ceci a laissé aux différents cultes de larges possibilités d’action dans la
    société civile. Le gouvernement tient à ce que les autorités spirituelles et morales que sont les responsables religieux de ce pays fassent entendre leurs voix sur les problèmes de notre temps et contribuent au rayonnement de notre pays en maintenant vivantes les valeurs qui ont fait la France »

    (M. Pierre Joxe, le 12 septembre 1990 à la préfecture de Strasbourg).

    La laïcité d’aujourd’hui [1], comme elle le fut hier d’ailleurs, n’est donc pas un rejet des religions mais un cadre consensuel dans lequel chacun apporte sa pierre à l’édifice du pays, et cela d’une manière publique. Dans la mesure où les cultes ne portent pas atteinte à l’ordre public, il n’y a pas d’hostilité envers les religions de la part de la République. Comme le général de Gaulle le soulignait en son temps, la France est plus grande que la République, elle la précède de ses valeurs, notamment chrétiennes, et donc, si la République est laïque et s’affirme comme telle, la France, même si elle a connu au XVIIIème siècle la période de ce que l’on a appelé le Siècle des Lumières, est de tradition chrétienne et elle a partie liée avec la Lumière de la foi, qu’on le veuille ou non. Je soulignerai, en ce sens, la phrase de l’aumônier en chef du culte musulman, qui rejoint notre spécificité militaire issue de la tradition historique qu’elle a héritée dans le sang de tous ceux qui sont tombés sur les divers champs de bataille : « Les messes relèvent de la tradition militaire. La France « Fille aînée de l’Eglise » a une histoire très forte avec le catholicisme, les armées n’échappent pas à cela et c’est normal » (Abdelkader Arbi, journal Le Monde du 4 juin 2018). Cependant, et chacun le sait, l’histoire continue inexorablement son chemin pour faire vivre cette tradition qui n’est pas sclérosée.

    Depuis 1905, des événements, souvent douloureux, ont façonné notre Patrie et l’histoire de nos familles particulières. Des nouvelles réalités ont vu le jour. La pratique religieuse catholique s’est effondrée pour tomber à 4% des Français qui se rendent à la messe chaque dimanche, même si 65% de
    concitoyens se déclarent de « culture ou de confession » chrétienne [2], ce qui n’empêche pas l’effritement plus rapide des valeurs qui lui sont liées. L’athéisme pratique (manière de vivre sans se préoccuper du fait religieux), fruit de la sécularisation, a pris une large place. Et le culte musulman, qui fut absent en 1905, a fait son apparition jusqu’à sa reconnaissance par l’Etat en 2003, ce qui a entraîné la constitution du CFCM [3], la création de l’aumônerie musulmane en 2005 (prisons, armées, hôpitaux) et des nouvelles questions liées à cette « nouvelle » pratique religieuse que la République venait d’admettre au nom de l’égalité de chacun qu’elle ne cesse de prôner, jusqu’en sa devise.

    De nouvelles questions liées, surtout à ce dernier culte reconnu, émergent au niveau du pouvoir politique et dans la rue, comme par exemple, le port des signes religieux ostensibles [4], la construction de lieux de prière avec, notamment l’appui financier de pays étrangers [5] ou de collectivités locales, la formation des chefs religieux avec le souci de ne pas avoir des prédications de haine violente contre la République, la manifestation publique de la prière, les règles alimentaires dans les lieux publics comme l’école, l’armée ou l’hôpital, la séparation des hommes et des femmes dans certains lieux de vie comme les piscines municipales par exemple… bref, tout un arsenal de questions qui font que la
    laïcité d’aujourd’hui a besoin de nouveaux repères. Une des questions qui ressort de cette confrontation à l’islam est de savoir si la République doit lui appliquer toute la rigueur de sa discipline laïque, avec les risques de réactions intégristes et d’interventionnisme étranger au sein de la
    communauté musulmane (cf. Henri Tincq, journal Le Monde du 19 septembre 1996). S’ajoutent à cela, les prises de position franches de l’Eglise [6] concernant les sujets de société, comme l’avortement, l’euthanasie, ou le fameux « mariage pour tous », pour ne citer que les plus emblématiques. Ces prises de position ouvertes attisent le camp de ce qu’on peut appeler le laïcisme combattant, qui remet sur la table le fait que l’Eglise et les autres cultes, malgré leur présence au Conseil national d’éthique voulu par Mitterrand, n’ont pas à s’immiscer dans les lois de la République puisque la foi, selon les tenants de ce courant plus athée que laïque, est du domaine privé et doit y rester.

    Pour faire bref et pour donner des repères clairs, notons que, malgré certains qui ont tendance à vouloir effacer le religieux dans l’espace public, la laïcité n’est pas hostile aux religions, elle n’est pas indifférente mais neutre, c’est-à-dire qu’elle prône une distance qui permet de garantir l’égalité de tous
    dans leur liberté de croire ou de ne pas croire. La laïcité permet aux croyants de former des associations cultuelles destinées à l’exercice du culte. La laïcité n’interdit pas d’exprimer l’identité religieuse dans l’espace public. Ainsi, même lorsque des cérémonies religieuses commémorent un
    événement, les participants « officiels » ne sont pas tenus de « se convertir », leur présence étant vue comme un respect objectif dû à l’événement, ce qui dépasse la sphère subjective de l’individu (pour
    l’armée, c’est le cas des cérémonies d’obsèques de soldats tués, de commémoration de fêtes d’armes, de parrainage de promotions…).
    La « laïcité militaire » [7], dont nous avons vu ci-dessus quelques exemples, est, pour le président Macron, « exemplaire en termes de formation, de communication et de dialogue » et, grâce à
    l’Aumônerie aux Armées, elle doit « servir d’exemple aux autres associations et administrations » [8]. Il est appuyé, par l’actuel chef d’état-major des armées, le général François Lecointre qui souligne que « l’armée est une matrice de transformation. C’est le seul endroit où se retrouve la société française
    dans toute sa diversité » [9].

    Cette laïcité particulière est également basée sur l’article L4121-2 du Code de la Défense qui précise que « tenant compte des contraintes exigeantes de la vie militaire, la pratique des cultes ne doit pas être entravée sans motif objectif », sous-entendu, mais bien évident malgré tout, que personne
    en situation de commandement n’a le droit, pour des motifs subjectifs d’athéisme ou bien de désir de profiter de ce temps libéré pour ordonner une autre activité par exemple, d’empêcher des subordonnés de participer à l’exercice du culte mis en place par les aumôneries, par exemple la messe dominicale qui constitue un « devoir de foi » pour les catholiques. Le respect de la Constitution républicaine qui régit la vie de notre société passe par ce respect de la liberté de culte de chacun. Inutile, à notre échelle, de chercher à régler les grands problèmes nationaux que rencontre la laïcité d’aujourd’hui, voilà, je pense, un des principaux défis, tout simple, que nous avons à vivre, ici, quotidiennement.

    Padre Jean-Yves DUCOURNEAU, à votre service