# Dièse 54 de mars 2023
Un courrier mensuel,
le 10 de chaque mois
André TALBOT
le 10 mars 2023
Dossier d’information : Éthique sociale en Église N° 54
# DIÈSE : Un demi-ton au-dessus du bruit de fond médiatique
1 – Des signaux alarmants
Dans notre pays, l’augmentation de la demande d’aide alimentaire : + 30% en 2022.
La dépendance pour se nourrir atteint la dignité humaine puisqu’il s’agit d’un besoin
essentiel. C’est aussi le signe d’une pauvreté souvent cachée parce qu’elle paraît
humiliante. La qualité de notre vie commune se trouve gravement questionnée par
l’incapacité d’une partie de nos concitoyens à se nourrir correctement ou à disposer
d’un abri. Heureusement, des associations s’efforcent de parer au plus pressé, mais au
nom de la solidarité nationale il est nécessaire de trouver des réponses institutionnelles
et durables.
La spéculation sur les biens alimentaires : un rapport de l’ONU estime que la
spéculation est l’explication majeure d’une hausse des prix alimentaires qui amplifie
l’extrême pauvreté. À titre d’exemple, 70% des opérations sur le marché du blé de la
place de Paris proviennent de banques ou de fonds d’investissement, de manière opaque
et rapide, signes d’actions spéculatives. Mais au bout du compte, c’est la vie des
populations les plus démunies qui se trouve en cause. La recherche du profit maximal ne
peut être la référence dominante : le politique doit jouer son rôle de régulateur.
La mort de migrants notamment en Méditerranée, parmi eux des Afghans, y compris
des femmes et des enfants. Il y a le risque de s’habituer à de tels naufrages, de tolérer
des décisions politiques qui, sciemment, mettent en danger des vies humaines. Un point
positif : l’accueil de 115 000 réfugiés ukrainiens dans notre pays en 2022. Quand nous le
voulons, nous savons faire.
2 – Une interrogation : qu’est-‐ce qui est vraiment désirable ?
Tout d’abord, un préjugé tenace : l’économie se caractériserait par la rareté. Mais en fait,
pour la part la plus favorisée de notre commune humanité, il s’agit d’une économie de
l’abondance, avec comme critère central une croissance censée résoudre tous les
problèmes, ce qui suppose une stimulation permanente de la consommation (ex. par la
publicité). On ne part plus des besoins fondamentaux, mais de la nécessité de « faire
tourner la machine » de plus en plus vite, au point que le gaspillage se trouverait
considéré comme une vertu. Le désir de bonheur, tout à fait louable, se trouve alors
confondu avec une progression continue de la consommation.
Deux questions sont laissées de côté. L’impact environnemental de telles pratiques en
termes de pollution, d’épuisement des ressources, de dérèglement climatique ; ce qui
veut dire que la course à la consommation induit un affaiblissement de la qualité de vie
qui s’amplifiera au cours des années. Mais on note aussi une polarisation sur la
concurrence qui pèse sur les plus fragiles, avec la souffrance et la faiblesse de revenus
liés au travail ; pensons par exemple au coût social des vêtements à prix bas, mais aussi à
la pression sur les revenus de certains agriculteurs.
Trois remarques à propos d’expressions courantes. La « valeur travail » paraît bien
abstraite quand elle ne prend pas en compte tant les conditions concrètes de travail que
le rapport entre le revenu et le coût de la vie.
Quand le mot valeur apparaît sans autre précision, on pense immédiatement à la seule
valeur monétaire, risquant d’oublier les dimensions sociale (l’heureuse fraternité) et
écologique (les bienfaits de la nature).
Il est intéressant d’évoquer la sobriété, pas seulement pour éviter des coupures
d’électricité ! La sobriété permet d’élargir heureusement nos représentations d’un
bonheur qui ne se réduit pas à la quantité d’objets dont on dispose. « Le bonheur requiert
de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles
aux multiples possibilités qu’offre la vie. » François, Laudato si’, l’ensemble du § 223
mérite d’être lu ou relu.
3 – Des motifs de fierté
Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, intervenant devant
les représentants de Justice et Paix Europe, a mis en avant trois raisons de se réjouir à
propos de l’Union européenne. Elle promeut un modèle social unique au monde qui met
l’accent sur la dignité humaine, prenant en compte les conditions de vie, misant sur la
solidarité ; mais n’oublions pas la part de la population qui se trouve gravement en
marge des bienfaits de la vie commune. L’UE promeut une vie sociale dans laquelle
chacun peut vivre convenablement de son travail ; mais il ne faut pas oublier les
personnes exclues durablement de l’emploi. Un autre signe de solidarité : la popularité
de l’euro dans les pays qui l’ont adopté, ce qui permet de faire face ensemble aux défis
(ex. crise du Covid). Notons la manière dont l’UE conjugue la prise en compte des
différences (de langue, de culture, d’histoire…) et la volonté de tenir solidairement,
d’avancer ensemble ; un modèle qui peut apparaître comme un signe positif en des
régions du monde où les différences deviennent fatalement des causes de
fragmentations, de divisions, de conflits.
4 – Une référence intéressante : la « richesse relationnelle »
La COMECE ( Commission des Épiscopats de l’Union européenne) a répondu à une consultation
de la Commission européenne sur l’économie sociale. En référence aux grands textes de
l’Église catholique concernant les questions sociales, le terme richesse est associé à celui
de relation. « L’économie sociale serait ainsi une économie qui place la relation au cœur de
l’économie en privilégiant les relations qui créent de l’alliance, de l’appartenance
commune, et du soin réciproque entre les vivants. » La notion de relation devient centrale,
en associant la vie sociale comme relation entre les humains et la visée écologique
comme relation des humains avec l’ensemble du vivant. On élargit ainsi grandement la
notion de richesse ! Cette contribution a été travaillée sous la présidence de l’évêque
français Antoine Hérouard et l’élaboration finale fut assurée par Elena Lasida. Celle-‐ci
avait déjà précisé en quoi consiste une « conversion écologique » : « Il s’agit de sortir
d’une relation utilitaire à l’égard du vivant pour tisser avec lui une relation de communion.
Or si la communion n’est jamais évidente à tisser entre les humains, elle est encore plus
difficile à imaginer avec des créatures non humaines. Mais c’est bien là qui réside le cœur
de la conversion écologique. Nous avons l’habitude de penser l’environnement en terme de
« ressource » à utiliser. La conversion écologique suppose de le penser avant tout en terme
de relation. » Une bonne base pour envisager positivement l’avenir !
Rendez-‐vous dans un mois pour le prochain numéro de # DIÈSE