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  • Jésus et la samaritaine – (Jean 4, 1-42)

    Jean est le seul à rapporter cette histoire.
    « Il lui fallait traverser la Samarie » : cette mention souligne une nécessité qui semble s’imposer. Le chemin, plus pénible à cause de la chaleur, par la vallée du Jourdain était toujours possible, d’autant que le passage par la Samarie impure n’était pas recommandé aux juifs soucieux de conserver leur pureté rituelle.
    Jésus semble avoir un objectif précis et important. De plus, la femme vient puiser l’eau à l’heure de midi, quand la chaleur est au plus haut.
    Voilà 2 personnages que tout sépare : l’origine géographique, le sexe, la religion.
    De Jésus, le voyageur, l’introduction précise qu’il était fatigué, soulignant ainsi un trait d’humanité.
    Le puits, dans les civilisations sémitiques, est un lieu symbolique. Dans un cadre souvent hostile fait de sécheresse et de désert, le puits est le lieu de vie. C’est aussi l’espace privilégié des rencontres amoureuses (voir genèse 24 ; Exode 2, 15-22). Mais, pour les familiers de la Bible, c’est aussi un motif très lié à l’Exode et en particulier à la loi. Voir le livre des Nombres, en NB 21, 17.
    Quand la femme arrive, tout est en place pour une scène à la fois pleine de couleurs et de romantisme, et chargée de révélation.
    Le dialogue entre la femme et Jésus se développe en 2 étapes :

    1 – De la demande au don (versets 7 à 10)

    Jésus manifeste un manque (une fragilité, une humanité) dont il ne sera plus question après. Cette demande n’est pas entendue par la femme. Non par déférence pour Jésus, afin qu’il ne se rende pas impur, mais plus vraisemblablement parce que les juifs ne veulent rien avoir en commun avec les samaritains. Quelle est l’origine de cette mésentente, voire de cette haine ?
    Tout a commencé au moment de la chute du royaume du Nord, en 721, la capitale étant Samarie. Du mélange des habitants de Mésopotamie et des juifs restés là naîtra le peuple samaritain. C’est surtout au retour de l’exil en Babylonie que les relations vont se détériorer. Au IVe siècle, les samaritains se construisent un temple sur le mont Garizim. À cet instant le schisme est consommé.
    Le refus de la femme samaritaine est essentiel au récit puisqu’il permet à Jésus l’assoiffé de le rester jusqu’à la fin du récit, et en même temps de prendre définitivement l’initiative.
    La réponse de Jésus est lourde d’enseignement (voir Jean 4, 10). Cette phrase, de façon énigmatique, introduit la femme dans un univers étrange : elle laisse entendre qu’il y a un rapport étroit entre le « don de Dieu » et « celui qui parle », lui qui peut donner l’eau vive.
    L’intérêt se déplace du puits matériel vers cet homme, ce juif fatigué, assoiffé, qui dans son manque se présente comme celui qui peut donner. Et le don proposé n’a plus aucun rapport avec l’eau du puits : c’est une eau vive. Jésus, source nouvelle, dépasse en splendeur le premier puits.

    2 – La source intérieure (versets 11 – 15)

    La femme, déstabilisée, accepte de se laisser entraîner par cet homme. La manière dont elle l’appelle indique que son regard sur lui a changé. Il était d’abord un juif (verset 9) ; il devient « Seigneur » (verset 11), un être mystérieux, peut-être plus grand que Jacob (verset 12).
    Comme il l’avait fait avec Nicodème, Jésus introduit un malentendu autour de cette eau. Le discours de Jésus se fait universel (« Quiconque boit de cette eau …, ouvert sur l’avenir (« l’eau que je lui donnerai »), détaché de ce lieu particulier : « deviendra en lui source jaillissant en vie éternelle ».
    La femme a fait un long chemin. Elle était en position favorable, enracinée dans sa tradition religieuse (« le puits de Jacob »), méfiante face à cet homme juif. Elle vient de faire une expérience qui la bouleverse profondément.
    D’autant plus profondément que dans le contexte culturel de l’époque, la présence d’un homme et d’une femme auprès d’un puits n’est pas anodine (cf. Cantique des cantiques 4, 12-15, livre des proverbes 5, 15). Cette femme est comme fécondée par l’annonce qui lui est faite. Elle accueille cette proposition et demande : « donne-moi de cette eau ».
    Ce qui suscitera, chez les disciples, une réaction mentionnée en Jean 4, 27 : « les disciples étaient stupéfaits qu’il parlât avec une femme ».

    3 – La femme et ses maris (Jean 4, 16-19)

    La thématique homme – femme sous-jacente à toute la première partie du dialogue se fait explicite : « Va chercher ton mari ».
    Pourquoi cette question ?

    a – La première séquence parlait du puits, « figure de la Loi » dans la littérature juive. La Loi est le don par excellence. Or la Loi appelle les prophètes. La Loi dit l’alliance dans sa généralité et son exigence universelle. Le prophète dénonce les violations particulières contre la Loi. La Loi par le du général. Le prophète parle du particulier. C’est précisément ce qui se passe ici. Jésus, près du puits, vient de se révéler comme celui qui fait vivre, ce qui est la fonction de la Loi (Deutéronome 30, 15). Ici, sans faire de morale, il révèle ce qui est caché : cette femme est en rupture avec la Loi. Les rabbins, interprètes de la Loi, commençaient à émettre des réserves après le troisième mariage. La femme le comprend si bien qu’elle en tire les conséquences : « Je vois que tu es un prophète ».
    Selon 2 Rois 17, 29-41, il est possible que les 5 maris symbolisent les 5 divinités des samaritains. Dans ce cas, la logique est respectée : après la révélation de la nouvelle loi intérieure, le prophète Jésus passe au dévoilement du péché du peuple samaritain.

    b – La seconde interprétation s’appuie sur la force anthropologique du récit : un homme et une femme auprès d’un puits. La femme reconnaît progressivement en Jésus quelqu’un qui dépasse ses 5 maris antérieurs. Le chiffre « 5 » veut souligner l’instabilité et la frustration de la femme quêtant en vain l’homme qui la fera exister vraiment. Cette femme qui passait d’un homme à l’autre s’arrête dans son vagabondage, car elle a trouvé son « baal » (son maître). Par sa parole, Jésus lui a fait découvrir qu’elle existe autrement que par sa beauté éphémère et que sa dignité de femme est au-delà de sa puissance de séduction.
    Les deux interprétations se combinent bien : la Bible est coutumière d’une telle comparaison entre les relations humaines et les relations avec Dieu.

    4 – Jésus, la femme et le culte

    Nous entrons ici dans le troisième moment de la révélation de Jésus. Jésus s’est révélé comme « don de Dieu », celui par qui une loi nouvelle est proposée. Cette loi n’est pas extérieure à l’homme : elle dévoile sa « vérité intérieure ». La femme veut aller plus loin dans sa démarche intérieure : puisque Jésus s’est révélé supérieur à son père Jacob, celui-là même en qui les samaritains reconnaissaient un de leurs pères dans la foi, qu’en est-il de sa religion ?
    Un nouveau rapport à la Loi, à soi-même et à sa religion s’instaure pour cette femme. À la source extérieure s’est substituée une source intérieure à chacun, révélatrice de la vérité intérieure de chaque croyant, débouchant sur un culte intérieur.

    5 – L’heure de la révélation (versets 20-26)

    Les vrais adorateurs désormais ne se trouvent ni à Jérusalem ni sur le Garizim des samaritains ; ce sont ceux qui adorent « en esprit et en vérité ». Cette heure maintenant est là.
    Ce culte en Esprit et en Vérité est celui que chaque croyant habité par l’Esprit rend au Père. Une telle naissance d’un culte spirituel intériorisé s’appuie sur la révélation du mystère de Dieu : « Dieu est Esprit » (Jean 4, 24). Cette affirmation prend ses distances avec toutes les représentations, les images, les sanctuaires. Dieu est au-delà du langage même de l’homme.
    Désormais Dieu n’est plus relié à une terre aussi sainte soit-elle, mais habite dans le cœur de tout homme, en qui l’Esprit a fait sa demeure.
    La femme est allée au bout de son expérience spirituelle. Jésus se révèle comme il ne fera jamais ailleurs dans Jean : « JE LE SUIS, moi qui te parle » (Jean 4, 26).
    La femme peut alors partir en abandonnant sa cruche (verset 28). Elle n’en aura plus besoin. Celle qui n’arrivait pas à assouvir sa soif de vivre et d’exister a rencontré quelqu’un qui a mis en elle une source de vie qui lui donne une autonomie et un sens.

    Père Jean-Marie Loiseau

    Voir le programme des 8 Rencontres de Jésus dans l’Evangile